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rue crazy, maison des nouvelles
31 mai 2012

Regrets blancs

La version PDF à imprimer et lire tranquillement : Regrets_blancs

Les cabinets des psychiatres se ressemblaient tous. Il fallait dire qu’ils étaient devenus très nombreux avec les nouvelles peines infligés aux criminels. Des industriels avaient flairé la bonne affaire et conçu du mobilier pratique et standard, dont ils s’étaient tous équipés. Éric Somberg avait donc l’impression d’arriver en terrain connu.

-     Bonjour Monsieur Somberg, commença le médecin dès qu’il fut assis. Je suis le docteur Heizen, votre psychiatre. Comme c'est votre première séance. Je vais vous expliquer certaines choses spécifiques à cette forme de thérapie.

-     J'ai déjà eu affaire à certains de vos confrères.

-     Je sais. J'ai votre dossier. Dans les cas normaux je me contente de superviser les entretiens mais je laisse des assistants les gérer. Pour vous, j'ai fait une exception parce que votre cas m'intrigue. Vous n'avez rien d'un criminel. Pourquoi en être arrivé à de telles extrémités ?

Le psychiatre n’avait visiblement pas l’intention de prendre des gants, ou de perdre son temps en tournant autour du pot. Le dossier d’Éric l’avait certainement renseigné sur son acuité intellectuelle et il savait qu’il n’arriverait pas à grand chose avec des techniques éprouvées. D’autre avaient essayé et avaient échoué.

-     Je croyais que nos dossiers ne vous révélaient pas nos crimes.

-     Non. Je ne sais pas exactement ce que vous avez fait. Mais je sais quelle dose de PZK on vous a administré. Et ces doses correspondent à des crimes de premier niveau. Vous souhaitez m'en parler ?

-     Non. Donnez moi donc de votre poison et laissez moi retourner chez moi.

-     Ca ne marchera pas comme ça avec moi. Vous allez devoir me parler durant nos rencontres. Vous allez devoir me raconter pourquoi vous en êtes devenu un criminel.

-     Ca ne vous regarde pas.

-     J’ai bien peur que si. Je vais devoir augmenter vos doses de PZK jusqu'à ce que vous ressentiez le besoin pressent de me parler.

-     Alors augmentez-les. Donnez-moi même une double dose aujourd'hui.

Ce psychiatre avait l’habitude des esprits tordus. Lui aussi il lui en fallait plus que quelques bravades pour le faire reculer.

-     Vous ne supporteriez pas les effets si je vous donnais déjà une double dose. Puisque vous avez déjà eu droit à des traitements, même s'ils n'ont servi à rien, vous savez déjà que les regrets que provoque cette drogue sont proportionnels à la dose qu'on vous injecte.

-     Je sais. Je suis assez vieux pour avoir connu l'ancien système. Celui où on vous collait en prison pendant une durée censée réparer le mal que vous aviez fait. Puis vous êtes arrivés, vous et les chimistes de la tête avec vos drogues qui donnent tellement de regrets que ca coupe l'envie de recommencer. Et tous les pacifistes se sont félicités parce qu’on a fermé les prisons. On a préféré laissé les salauds dehors à se morfondre.

-     C'est bien l'effet recherché. Visiblement vous faites partie de ceux que ca ne fait pas reculer. Au contraire, après chacun de vos traitements vous avez récidivé avec une gravité supérieure. C'est ça que je n'arrive pas à comprendre. Nos résultats sont plus qu'excellent sur plus de quatre-vingt-seize pour cent des crimes et délits. Les seuls qui récidivent sont souvent diagnostiqués comme de vrais fous furieux, pour utiliser un vocabulaire vulgarisateur. Aucune maladie mentale ne vous affecte, vous. Alors, pourquoi ?

-     C'est mon problème. Pas le vôtre.

-     Bon. Je vais vous injecter votre dose pour aujourd'hui et nous verrons bien si vous avez suffisamment de regrets demain pour avoir envie de me parler.

Une injection puis Éric Somberg put rentrer chez lui. Il retrouva son appartement et ses toiles blanches. L’attente de la séance du lendemain commençait. L’attente de l’inspiration aussi. Laquelle était la plus douloureuse ? Difficile à dire

 

Les traitements lourds, comme ceux dont ‘bénéficiait’ Éric étaient faits de rendez-vous – et d’injections, si besoin – quotidiens. Même les week-ends étaient sans répits tant pour le patient que pour son bourreau. Éric était toujours à l’heure à ses séances, mais il ne parlait pas. Il préférait être agressif avec son médecin. Ce dernier ne comprenait pas cette stratégie, qui ne correspondait nullement à celle prévue par les règles de son métier.

Mais, le médecin n’abandonnait pas la partie.

-     Monsieur Somberg. C'est notre huitième rencontre. Asseyiez-vous et dites moi ce qui vous pousse à faire tant de mal autour de vous.

-     Peut-être que j'aime vivre dans la souffrance des autres.

-     Ou dans la vôtre.

-     La mienne ?

-     Oui. C'est la seule explication que je trouve à votre cas. Mais ça n'explique qu'à moitié vos raisons d'agir ainsi.

-     C'est absurde comme explication.

-     Donnez m'en une meilleure alors.

Le docteur ne croyait pas trop à cette nouvelle stratégie. Éric était trop malin pour se laisser avoir aussi facilement.

-     Vous êtes têtu. Vous n'avez pas besoin de savoir pourquoi j'ai fait cela. J'avais peut-être une raison personnelle, une vengeance contre cette femme. Après tout elle avait été une de mes institutrices.

-     Vous mentez mal.

-     Vous pouvez vérifier.

-     Je vous crois si vous me dites qu'elle était une de vos anciennes institutrices. Mais je ne vous crois pas quand vous prétendez lui avoir fait cela pour cette raison. Je vérifierai.

-     Faites. Mais, en attendant, donnez-moi ma dose. Et n'oubliez pas de l'augmenter.

-     Vous êtes le seul à vouloir continuer à avoir votre dose. Les autres essayent de nous faire oublier leur dose. Certains en arrivent même à s'inventer des faux souvenirs et des fausses raisons. Ils exagèrent leurs regrets pour nous faire croire qu'ils souffrent bien plus qu'ils ne devraient. Vous êtes diffèrent. Vous semblez aimer ça de ressentir tous ces regrets, même s'ils sont artificiels. Je me demande si je ne vais pas vous interdire de dose.

Finalement, Éric avait peut-être été trop loin. Le docteur commençait à soupçonner un comportement qu’il n’osait pas croire.

-     Ce serait contraire à la décision de la justice, rétorqua Éric en perdant presque son calme.

-     C'est vrai. Vous allez donc avoir votre dose. Mais vous approchez de la dose dangereuse. En théorie en tout cas. Parce que je n'en vois pas les effets sur vous.

-     Vous vous attendiez à quoi ?

-     Vous devriez avoir les yeux rougis et le nez qui coule.

-     Pleurer ? Je ne sais plus pleurer depuis longtemps.

-     Alors vous n'êtes pas humain.

-     Probablement. Vous n’avez qu’à continuer à augmenter mes doses pour tester mon seuil de tolérance. Ma dose maintenant s'il vous plait. Ma séance est terminée.

 

Les jours et les semaines s’enchainaient. Le docteur commençait à entrevoir une solution mais elle semblait tellement farfelue, voire illogique, qu’il ne voulait pas y croire.

-     Alors, Toujours pas assez de regrets pour avoir envie de me parler ? Peut-être préféreriez-vous parler à un autre thérapeute ?

-     Vous ou un autre ca n'a pas d'importance. Vous n'avez pas besoin de connaître mes raisons de toute façon.

-     Je me suis renseigné à propos de cette histoire d'institutrice. Elle était bien une des vôtres. Mais, étrangement, elle ne semble pas avoir eu le moindre problème avec vous. Vous n'avez jamais été un élève difficile, ni avec elle ni avec aucun autre enseignant. Par contre, elle était atteinte d'une maladie incurable qui la faisait terriblement souffrir. D'une certaine façon votre crime pourrait être considéré comme une simple euthanasie. Si celle-ci n'était pas interdite dans notre pays vous n'auriez même pas été condamné. Et avec notre législation actuelle vous ne devriez pas avoir de traitement PZK.

-     Vous faites fausse route. J'avais de vrais motifs pour la haïr. Maintenant tout ça est fini. J'aurais préféré lui faire regretter tout ce qu'elle a pu faire, à moi et à d'autres mais, comme vous l'avez dit, elle était très malade. Trop tard pour elle. Plus le temps d'avoir des regrets. Elle n'est plus là maintenant, et c'est bon débarras.

-     Cela ne change rien à l'étrangeté de votre cas. Le traitement qu'on vous inflige ne vous fait aucun effet. Vous devriez vous morfondre avec les doses que vous recevez quotidiennement.

-     Sans doute que j'avais trop de haine contre elle pour éprouver le moindre remord ou regret. Vous n'imaginez pas, même avec toute votre science, la dose de rancœur qu'on peut accumuler depuis l'enfance. Cette haine qui grandi à l'intérieur et qui fini par devenir une obsession. Votre chimie ne peut rien contre ça. La voir mourir, la faire mourir, même après toutes ces années, m'a apaisé de telle manière que vous ne pourrez jamais me faire regretter mon geste.

Fin de la séance. Injection. Retour dans l'appartement presque vide. Encore des toiles blanches. Routine. Terrible routine. Improductive.

 

-     Vous êtes bientôt arrivé à la fin de votre peine. Vous savez qu'on me demande un rapport sur votre réinsertion possible et votre retour à la vie normale. Vous devez vous douter que je vais conseiller qu'on vous maintienne sous traitement.

-     Oui.

-     Ce que vous ignorez c'est quel produit je vais conseiller.

-     Comment ça, quel produit ?

-     Oui. Le traitement au PZK n'a rien donné. Cette substance aurait dû vous faire éprouver de nombreux et douloureux regrets. La thérapie que j'ai tenté de vous faire suivre devait vous donner la profonde envie de ne jamais refaire de mal à personne. Ca n'aurait donc aucun intérêt que je vous "prescrive" un traitement au PZK.

-     Vous n'avez rien d'autre de toute façon.

-     C'est faux. Nous avons des traitements de plus long terme. L'idée c'est de vous assommer complètement. Que pensez-vous d'un produit qui vous enlèverait toute imagination ?

-     Vous n'avez pas le droit de faire ça !

Éric avait bondi de son fauteuil. Il était rouge de colère, au bord des larmes, au désespoir.

-     Bien sur que si. Un artiste comme vous n'aimerait pas se retrouver sans rêve. Je peux faire ça.

-     Je suis déjà sans rêve. Mes toiles restent blanches.

-     C'est pour ça que vous avez tué cette dame ? Elle vous a volé vos rêves ?

-     Non. Elle devait m'aider à les retrouver. Elle a échoué.

Maintenant Éric pleurait réellement. Il n’arrivait pas à retenir ses larmes. Il aurait voulu que son chagrin sorte autrement qu’en eau, mais la pression devait être trop forte et la nature animale reprenait le dessus.

-     Et vous l'avez tué pour vous venger.

-     Vous ne comprenez rien.

-     Expliquez-moi.

-     Je regrette, mais ca ne sert plus à rien de vous expliquer. En fait, ca n'a jamais servi à rien d'expliquer. Vous l'avez dit, je suis un artiste. Je ne peux pas expliquer ce que je fais. Sinon ce ne serait plus de l'art. Tout juste de l'artisanat.

-     Ca n'explique pas pourquoi vous résistez au traitement. Vous devriez souffrir le martyr.

-     Souffrir le martyr. C'est bien comme peine de substitution à l'emprisonnement. C'est tellement plus humain. Déclencher des envies de suicide chez les criminels et les laisser se désespérer.

-     Meilleur taux de récidive. Quasiment nul. Mais vous changez de conversation pour ne pas répondre à la vraie question. Pourquoi ne souffrez-vous pas ?

-     Vous êtes à coté de la plaque. Donnez-moi donc ma dernière dose. Écrivez votre ordonnance. Mettez-y ce que vous voulez. Ça n'a plus d'importance.

Dernière dose.

Dernier retour.

 

-     J'aurais dû comprendre plus tôt.

-     Comprendre quoi ?

Le docteur Heizen regardait tristement le corps sans vie de l'artiste.

-     Comprendre pourquoi il avait fait ça.

-     C'est sa mini lettre de suicide qui vous donne la réponse. Deux mois de traitement et ce sont ces quelques mots qui vous donnent la clé ?

-     Oui sergent.

-     Vous voulez bien expliquer au simple flic que je suis.

-     Certains artistes ont besoin de souffrir pour créer. C'est souvent pour les périodes de manque qu'ils se droguent. Pas pour les quelques moments où ils "planent". Celui-là se servait du PZK comme stimulant. Il a fait de petites bêtises il y a quelques années. Il avait eu de petites doses. Ça lui a permit de créer ses premières toiles. Mais, comme tous les drogués, chaque prise le rendait un peu plus immunisé et la dose suivante devait être plus forte. Il a fini par tuer quelqu'un. Mais comme il n'avait l'âme d'un assassin il a tué une femme qui cherchait à se faire tuer. Il a fait ça pour lui rendre service. Les regrets factices produits n'ont pas suffit pour de nouveaux chefs-d'oeuvre.

-     Les regrets. Il carburait aux regrets ?

-     Oui. Et maintenant c'est moi qui vais devoir vivre avec le regret de n'avoir rien compris. Du regret cent pour cent naturel. Impossible à soigner.

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