Plus_Humain_tu_meurs en pdf !
I
Brandy
rentrait encore tard ce soir. Son patron avait, une fois de plus, insisté pour
qu’elle l’aide à finir un dossier qu’il prétendait très urgent, expression
plutôt vague et sans réelle consistance permettant à n’importe quel chef sur
terre de demander un peu plus chaque jour à ses subalternes, qui en feront
profiter les leurs s’ils en ont et ce jusqu’au dernier maillon de la chaîne qui
devra faire tourner tout le système en remerciant d’avoir le plus petit
salaire. Reprenez votre souffle. Mais dans le cas présent Brandy était ce
dernier maillon car elle savait bien ce que son supérieur voulait d’elle, mais
même si elle était fière de son physique elle ne voulait pas s’en servir pour obtenir
les faveurs de cet homme. Elle estimait avoir suffisamment donné !
La
caméra du hall la reconnut dès son arrivée et fit ouvrir les portes d’un
ascenseur. Son salaire confortable lui permettait de vivre dans l’un de ces
immeubles, ou les gadgets étaient plus nombreux que les parpaings, que comptait
la nouvelle banlieue parisienne chic située à moins de deux kilomètres du
quartier central de Fontainebleau. Ville dont le célèbre château était encore
plus beau en ce milieu de vingt-deuxième siècle.
Comme
toutes les jeunes femmes du monde, Brandy poussa un soupir en entrant dans son
appartement. Sans doute un réflexe ancestral. Son second geste fut tout aussi
typique : elle jeta ses chaussures dans un coin de l’entrée et sa veste
sur un fauteuil du salon.
La
jeune femme alla ensuite jeter un œil dans son frigo, par pur reflex aussi car
elle surveillait tellement sa ligne qu’elle ne s’autoriserait certainement pas
à toucher à ces délicieuses mousses au chocolat à cette heure tardive.
Bref,
dix minutes à peine après qu’elle ait passé le seuil de sa propre porte elle
tournait déjà en rond, sans doute débordée par tant de liberté et de confort.
Elle décida d’aller s’affaler devant son mur-écran. Peut-être que l’une de ses
cinq ou six cents chaînes de télévision allait diffuser quelque chose qui
l’occuperait jusqu’à ce que le sommeil vienne !
Un
homme d’un peu plus d’une trentaine d’années gara sa voiture dans le parking de
l’immeuble.
Il
cachait son regard froid derrière une paire de lunettes, accessoire inusité
depuis quelques décennies et, surtout, depuis la généralisation de la micro
chirurgie oculaire et des greffes d'organes semi-naturel sans défauts.
Lui
non plus n’eut pas besoin d’appeler l’ascenseur ni de lui indiquer l’étage
désiré. Il fut rapidement et sans encombre sur le palier de l’appartement de
Brandy.
Il
alluma l’écran de son bracelet montre et fit un rapide tour des vues offertes
par les différentes caméras situées à l’intérieur de l’appartement de la jeune
femme.
Devant
son propre écran, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir et se refermer derrière
l’inconnu.
Le
mince fil à couper qui se serra bientôt autour de la gorge ne lui laissa pas
non plus le loisir de crier. Ce fil à couper dernier modèle était une merveille
d’efficacité et sa tête ne tarda pas à rouler au sol.
Les
dernières choses que virent ses yeux furent sans doute les chaussures noires de
celui qui venait de mettre fin à une vie professionnelle pleine de réussite et
une vie privée vide de sens.
II
Il
était un peu plus de dix heures du matin lorsque l’inspecteur Antoine Cheminov
fut dérangé par le bip de sa boite aux lettres informatique.
Comme
d’habitude on le prévenait qu’il était attendu dans le bureau de son patron !
Et bien que celui-ci ne se trouvât qu’à quelques mètres du sien c’était
toujours de cette façon que les deux hommes communiquaient.
Comme
d’habitude aussi, c’était urgent.
Il
ferma donc ses dossiers en cours et se leva avec lenteur de son siège car il
savait que son chef l’observait et que cette attitude l’agaçait au plus haut
point.
Un
message en rouge vif apparut sur son écran " magne-toi ! "
Avec
un sourire en coin, de sa démarche de vieil étudiant fatigué il se dirigea vers
le bureau de son supérieur et alla s’affaler dans l’un des fauteuils réservés à
d’hypothétiques invités.
"
J’ai une mission à l’extérieur pour toi ! "
La
nouvelle laissa Cheminov bouche bée pendant cinq secondes, ce qui était très
long pour lui.
"
Depuis quand on envoi des flics sur le terrain ? "
"
Il y a eu un meurtre dans une résidence de haut standing en grande banlieue. Il
paraît que c’est pas beau à voir et on a l’ordre de retrouver vite fait le type
qui a fait ça "
"
Tu n’as qu’à me donner l’adresse et je vais te ressortir les fichiers images
avec la scène du crime en direct. Pourquoi aller jusque là-bas ? "
"
C’est plus compliqué que ça, d’après ce que je sais. Et puis ne discute
pas : ce sont les ordres et ils viennent de bien plus haut que moi. Cette
enquête n’est pas une punition comme tu sembles le penser. Ce serait même
plutôt un gage de confiance. "
"
Je n’ai donc pas le choix ? "
"
T’as tout compris. Si t’es encore là dans cinq minutes c’est moi qui te fous
dehors. Aller, va respirer de l’air non climatisé ! "
"
Beurk ! " Se contente de murmurer Cheminov.
Le
jeune inspecteur décida qu’il était inutile de discuter. Le chef avait l’air
d’être de mauvaise humeur aujourd’hui.
Il
descendit donc prendre une voiture de service pour se rendre sur les lieux du
crime.
Pendant
qu’il conduisait, il se demandait pourquoi on envoyait un inspecteur de la
cyber-crimes comme lui enquêter sur un banal meurtre. Son métier c’était de
traquer et contrer les criminels des mondes virtuels. Ses seules armes étaient
un ordinateur et son cerveau. Retrouver des fichiers vidéo dans un ordinateur
de surveillance n’avait rien de bien compliqué. Il le faisait déjà à quatorze
ans pour regarder ses voisines se déshabiller ou même dans des moments plus
intimes.
Ces
souvenirs le firent sourire et lui occupèrent l’esprit jusqu’à son arrivée à
Fontainebleau.
III
Le
jeune inspecteur était attendu dans le parking visiteur de la grande résidence.
"
Je vais vous accompagner jusqu’au lieu du crime inspecteur ! " Lui
dit le policier en uniforme d’une manière si sérieuse qu’il en était presque
risible.
Durant
les quelques minutes du trajet, l’agent eut le temps de lui expliquer que les
propriétaires de l’immeuble ne voulaient pas que l’affaire s’ébruite trop car
leurs différents produits avaient tous une bonne réputation et qu’ils ne
tenaient pas du tout à perdre celle-ci.
"
Et que révèlent les mémoires vidéo ? " Demanda Cheminov avec une
certaine impatience.
"
Rien ! C’est bien là le problème. Mais on va vous expliquer cela plus en
détail dans quelques secondes. "
En
effet, les deux hommes arrivaient maintenant dans l’appartement de la victime.
Plusieurs
hommes s’affairaient en différents endroits. Plusieurs cloisons avaient été
démontées et des dizaines de mètres de câblage en fibre optique sortaient des
murs et des plafonds.
"
Inspecteur Cheminov ? Je me présente : je suis Rachel Lévy. Je suis
le commissaire de ce quartier. On a demandé la présence de votre service car
nous avons affaire à quelqu’un de très doué avec son ordinateur. "
Cheminov
regarda la petite brune qui venait de lui sauter sur le poil pour lui débiter
tout ce discours sans reprendre son souffle.
"
Comment ça très doué ? "
"
Il est arrivé à court-circuiter tous les systèmes de surveillance sans que
personne ne se rende compte de rien. Ou alors il est invisible ! Mais cela
semble peu probable. Même si certains préféreraient cette théorie "
En
disant cela elle regarda un groupe de cinq personnes qui semblaient avoir une
discussion plutôt animée près d’une fenêtre.
"
Les charmantes personnes à moitié au bord de l’infarctus que vous voyez là-bas
sont les gestionnaires et propriétaires de cet immeuble. Il va sans dire que
nous sommes des incapables et que c’est de notre faute si quelqu’un a commis ce
crime. Vous connaissez la chanson aussi bien que moi ! "
L’inspecteur
eut un léger sourire de connivence mais n’osa pas avouer qu’il avait rarement
de vrais contacts avec les nombreux protagonistes des affaires qu’il traitait
et que, de plus, le stress de ceux-ci ne l’avait jamais intéressé.
Il
préféra donc revenir à un sujet qu’il maîtrisait mieux ;
"
Quels éléments avez-vous exactement ? "
"
Venez avec moi. Je vais vous montrer ça. "
Il
suivit la jeune femme jusqu’à la chambre de la défunte. Cette pièce avait été
transformée en bureau de travail car il était évident que rien ne s’y était
passé. Si Cheminov avait été un vrai flic de terrain il aurait également
remarqué qu'il ne se passait probablement jamais rien dans cette chambre.
Les
policiers pouvaient donc aisément déposer leur matériel sur le lit et les
autres meubles sans risquer de détruire un indice quelconque.
Le
commissaire s’assit devant un ordinateur portable à clavier – la rusticité d’un
tel matériel fit sourire l’inspecteur – et fit apparaître à l’écran un film en
couleur montrant l’appartement de la victime. Plus précisément le salon où elle
avait vécu ses derniers instants.
L’inspecteur
put donc la voir arriver chez elle, se déshabiller partiellement, puis
s’installer devant son écran géant pour regarder la télévision et, soudain,
voir sa tête par terre, gisant derrière le canapé et définitivement séparée du
reste de son corps.
Il
sursauta et écarquilla les yeux.
"
J’ai eu la même réaction que vous ! " Dit la jeune commissaire.
"
Vous avez tenté une analyse image par image ? "
"
Oui. On a aussi vérifié avec les horloges internes qui indiquent l’heure exacte
de chaque image du film au millième de seconde mais rien n’y fait. Et les
caméras du reste de l’immeuble ne montrent rien non plus ! "
"
Aucune ? "
"
Aucune ! "
Cheminov
ne put réprimer un sifflement d’admiration.
"
Vous comprenez maintenant pourquoi on fait appel à vous ? "
"
Oui. Mais je ne suis par certain de vous être d'une grande utilité. Je pense
savoir comment il a réalisé ce tour de passe-passe. Mais, s’il a utilisé la
méthode que je crois, il sera impossible de retrouver la moindre image de lui.
Laissez-moi la place. Je vais vérifier ma théorie. "
L’inspecteur
se mit à taper rapidement sur le clavier et finit par se tourner vers le
commissaire pour lui dire :
"
Il a bien fait ce que je pensais. "
"
C’est à dire ? " Demanda la jeune femme, impatiente.
"
Il a réussi à ralentir et accélérer le temps dans l’horloge interne de
l’ordinateur. Et ce, uniquement sur les caméras qui l’ont filmé. "
"
Quoi ? "
"
C’est à la fois simple et complexe. En théorie il suffit de faire défiler le
temps à deux cents pour cent de sa vitesse pendant les quelques minutes qui
précèdent la séquence à ne pas filmer – pendant ces minutes la caméra prend
deux images au lieu d’une et son horloge se met à avancer – puis il faut
stopper le tournage pendant que l’on passe devant la caméra et, enfin si on se
retrouve avec du retard à la fin on inverse le processus en ne filmant qu’une
image sur deux. "
Le
commissaire semblait éberluée.
"
Et c’est réellement possible ? "
"
En théorie oui. Je l’ai même déjà vu appliqué à des systèmes de surveillance
simples ne comportant qu’une seule caméra. C’est la complexité des opérations
ici qui me rend perplexe. "
"
Vous êtes vraiment certain de votre théorie ? "
"
Écoutez, je n’ai qu’une preuve à vous montrer. Et elle n’est pas
monstrueusement flagrante, mais c’est tout ce que j’ai ! "
Il
se remit à taper sur le clavier et fit réapparaître les images de la jeune
femme coupée en deux et les fit défiler lentement.
"
Pour cette caméra là il n’a pas pu employer la première méthode car la victime
se déplaçait sans cesse et cela se serait vu s’il avait accéléré ou ralenti le
film. Il a donc dû le désynchroniser après le meurtre et sa sortie du champ. La
jeune femme étant immobile cela ne devait pas se remarquer s’il ne filmait
qu’une image sur deux.
Malheureusement
pour lui il a oublié quelque chose : La télévision. Les images diffusées
par celle-ci le sont à la même vitesse que celles filmées en temps normal par
les caméras. Et si vous observez bien l’écran de télévision vous verrez que les
mouvements à l’image ne sont pas naturels et cela pendant plusieurs minutes.
"
Le
commissaire observait l’écran avec une attention soutenue et finit par prendre
une profonde inspiration.
"
Bien. Je pense que vous avez raison. Mais cela ne me dit pas comment retrouver
le meurtrier. "
"
Faux. Nous savons à quelle heure s’est produit le crime. Les caméras de
surveillance de la circulation ont certainement enregistré le passage de notre
triste sire. Je ne pense pas qu’il y ait des embouteillages en pleine nuit
ici ! "
IV
Antoine
Cheminov arriva à son bureau un peu plus tôt qu’à l’ordinaire ce matin là.
C’était comme si son excursion de la veille lui avait fait réaliser à quel
point il aimait cet endroit.
Il
avait déjà un message sur son écran :
"
Qu’est-ce que tu fais là ? L’enquête n’est pas terminée ! "
Il
n’avait aucun doute sur la provenance de cet agréable salut matinal. Il ne prit
donc pas le temps de s’asseoir et alla directement dans le bureau de son
supérieur.
"
Bonjour quand même, dit-il en arrivant. Je croyais que les flics de banlieue
étaient quand même capables d’interroger une caméra de circulation ! "
Son
chef leva les yeux vers lui, prit une profonde inspiration, comme pour annoncer
une déclaration de la plus haute importance et dit calmement :
"
Oui. A condition que le véhicule soit connu de nos fichiers… "
L’inspecteur
eut besoin de plus de trente secondes pour réaliser ce que venait de dire son
commissaire.
"
Mais, c’est impossible ! Toutes les caméras de la circulation vérifient
les plaques en permanence. Une voiture avec une fausse immatriculation ne peut
pas faire plus de cinq cents mètres sans être repérée. "
"
C’est ce qu’on croyait aussi. Mais, il semblerait que notre meurtrier soit un
peu plus qu’un simple tueur en série. "
"
Pardon ! "
"
Oui. La victime d’hier soir n’était pas la première. Nous n’avons jamais eu
autant de dossiers en suspens depuis plus d’un siècle en région parisienne. Les
affaires non élucidées pullulent. C’est du moins comme cela qu’on m’a présenté
la chose en haut lieu. En fait la jeune femme d’hier est la quatrième victime
du tueur invisible. C’est le nom, ridicule, qu’on lui a donné au département
des affaires spéciales.
Notre
service est donc fortement prié de venir en aide du mieux qu’il peut aux
services de terrain qui se verraient confrontés à ce tueur. Et comme tu as fait
forte impression hier en trouvant tout de suite l’astuce utilisée par le tueur
tu es désigné d’office pour cette mission. "
"
Et je vais encore bosser seul ou je vais être obligé d’utiliser les méthodes de
terrain avec un partenaire et tout le tintouin ? "
"
Tu continues à bosser seul. Je n’ai personne à te donner, ni même à te prêter.
La forte baisse de la criminalité, et encore plus des enquêtes, nous a fait
sérieusement diminuer nos effectifs alors je ne peux pas pour l’instant
détacher plus d’une personne. Si cette affaire devient ultra prioritaire on me
permettra peut-être d’en mettre d’autres en attente et alors tu auras de
l’aide. Mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Allez ! Va défendre nos
couleurs ! "
En
regagnant son bureau pour y prendre quelques affaires et son ordinateur,
Cheminov eut une idée pour trouver l’aide dont il avait besoin.
Il
décida d’utiliser un programme de détective virtuel auquel il avait joué
quelques années plus tôt et dont il avait ensuite amélioré l'unité
d’intelligence artificielle. Ce partenaire là personne ne pourrait le lui
reprocher et il aurait peut-être des raisonnements différents du sien puisqu’il
avait été programmé avec le schéma mental de plusieurs des meilleurs policiers
du vingtième siècle plus quelques héros de romans policiers grands
solutionneurs d’énigmes.
V
Antoine
entra dans le bureau poussiéreux de Mike Summer. Il ne fut pas étonné par le
réalisme du programme de réalité virtuelle qui lui permettait même de sentir
l’odeur faite d’un mélange de tabac froid, du vieux cuir, d’alcool et de bien
d’autres choses qu’il ne saurait identifier.
Le
détective Summer avait exactement le physique de l’emploi : grand,
costaud, l’air fatigué, une petite moustache et les cheveux courts mais
décoiffés – sans doute à cause du chapeau qui traînait sur le bureau – le tout
engoncé dans un costume à rayures noir et bleu qui ne devait pas se souvenir de
ce à quoi ressemblait une teinturerie.
Cheminov
accomplit tout le rituel qui consiste à demander au détective d’aider la police
pour le plus grand bien de la ville et pour l’effacement de sa dette auprès des
services du stationnement.
Summer
finit évidemment par céder, comme c’était prévue dans le programme.
L’inspecteur
put alors lui raconter son histoire. Il n’avait même pas besoin de travestir la
réalité car le programme avait été conçu pour accepter des termes et des
descriptions ne correspondant pas à l’époque où était sensé vivre le détective,
soit au milieu du vingtième siècle.
Cheminov
avait des détails supplémentaires car il avait prit le temps de lire les
différents rapports concernant les trois autres affaires similaires. Son récit
en était donc plus détaillé et complet.
A
la fin de son histoire le détective se pencha sur le bureau pour prendre un
petit cigare dans un coffret en bois. Il l’alluma pour en tirer quelques
bouffées en regardant le plafond.
"
T’as affaire à un cinglé, gamin. C’est sûrement un gars qu’a pas pu se taper
les gisquettes parce qu’il est trop moche, trop con, ou trop les deux. Ce qui
m’étonne c’est qu’il ne les a pas violées. Il est peut-être impuissant. "
Cheminov
sourit. Il venait de se rappeler que certains progrès de la médecine n’avaient
pas été inclus dans le programme, et que le vocabulaire de l’époque avait été
bien restitué.
"
Je crois qu’on peut éliminer cette solution. "
Cette
phrase suffisait pour faire annuler au programme toute recherche en ce sens et
repartir dans une autre direction.
"
Alors c’est que c’est un mystique. Un type qui fait une sorte d’offrande à Dieu
pour se faire pardonner je ne sais quoi. "
Cette
seconde hypothèse plaisait plus à Cheminov. Il décida de laisser le détective
réfléchir à cela et quitta le monde virtuel pour continuer son enquête dans la
réalité.
VI
La
première chose que rechercha L’inspecteur Cheminov, ce fut, comme on le lui
avait appris à l’école des officiers de police, des points communs entre les
victimes.
Il
avait là plusieurs jeunes femmes de la région parisienne, ayant toutes réussi
dans leur vie professionnelle, mais dont la vie privée semblait désespérément
vide. Elles étaient toutes célibataires et avaient toutes plus ou moins coupé
les ponts avec leurs familles.
Mais
en dehors de ce portrait social qui les faisait entrer dans la même catégorie,
elles n’avaient aucun point commun. Elles n’avaient pas fréquenté les mêmes
écoles, n’avaient pas les mêmes professions, pas les mêmes hobbies, même pas la
même marque de petites culottes.
Il
n’y avait donc aucune chance pour que leur tueur commun – si c’était le cas –
les ai toutes rencontrées au même endroit.
Cheminov
se décida alors à consulter la base de données concernant tous les cinglés
ayant appartenu de près ou de loin à une secte quelconque. La liste était
longue. Trop longue pour être vérifiée en totalité et en détail avec les bonnes
vieilles méthodes.
Un
petit croisement de fichiers lui permit de vérifier ou se trouvaient toutes les
personnes inscrites dans cette liste aux moments des meurtres.
Malgré
la vitesse de traitement des informations par les ordinateurs surpuissants de
la police il fallut tout de même plus de vingt minutes pour tout vérifier.
C’était là un temps à battre tous les records de lenteur policière du siècle.
A
la fin de toutes ces analyses aucun nom ne ressortait vraiment. Aucune de ces
personnes ne pouvait se trouver sur les lieux de plus de deux des quatre
meurtres.
Cheminov
ne voyait plus qu’une seule solution pour trouver le coupable.
VII
"
Votre idée de faire un recoupement de l’emploi du temps de toute la population
de la région avec les quatre meurtres est excellente. D’autant plus qu’elle est
techniquement possible, même si cela risque de prendre plusieurs jours. Je ne
vois d’ailleurs qu’un seul élément qui me permet de refuser cette
opération : elle a déjà été réalisée et ne nous a rien apporté de
neuf ! "
Le
responsable de l’opération – un obscur conseiller du préfet de police – aimait
ménager ses effets lorsqu’il avait quelque chose d’important à déclarer.
Cheminov venait de l’apprendre à ses dépens. Il lui avait laissé déballer toute
sa théorie et se fatiguer à expliquer pourquoi il voulait faire cela puis
l’avait simplement refroidi de cette manière plutôt brutale.
"
Toutefois, étant donné que vous êtes arrivé à cette conclusion en moins de
vingt-quatre heures cela signifie que vous travaillez beaucoup plus vite que
mes propres services. Nous avons donc eu raison de vous nommer sur cette
affaire. Il ne vous reste plus qu’à inventer une solution à laquelle on
n’aurait pas pensé. "
Cheminov
s’en fut donc avec, pour toute récompense, une molle poignée de main et un sourire hautement politique. Il restait
seul sur l’affaire et avait bien compris qu’il avait intérêt à trouver quelque
chose rapidement s’il ne voulait pas passer toute sa vie derrière le même ordinateur.
On ne lui donnerait certainement pas une seconde chance s’il loupait la
première.
Sa
seule chance était de retourner faire un tour dans le monde virtuel et d’en
discuter avec Mike Summer. Le programme avait tourné pendant des heures pour
résoudre cette énigme, peut-être était-il maintenant sur une piste
intéressante.
VIII
Le
détective était exactement dans la même position que d’habitude, avec les mêmes
vêtements et le même petit cigare entre les lèvres. Antoine Cheminov se dit
qu’il devrait faire quelque chose pour améliorer cette fonction. Histoire de
donner encore un peu plus de réalisme à l’ensemble du jeu.
"
Salut Mike ! T’as réfléchi à mon affaire ? "
"
Salut gamin ! Je me suis bien creusé la tête mais j’ai rien trouvé de plus
intéressant que ce que je t’ai déjà proposé. "
"
Bon, et bien on va dire que l’hypothèse est valable et on va la suivre. J’ai
d’ailleurs déjà commencé. C’est justement pour ça que je reviens te voir. J’ai
un léger problème… "
Et
il expliqua au détective - très attentif comme seul pouvait l’être un
ordinateur – où il en était et quels problèmes il avait rencontrés.
A
la fin de son discours, Mike se contenta de poser son cigare dans un cendrier
pour déclarer simplement :
"
Tes ordinateurs te mentent ! "
Cheminov
n’en revenait pas. Cette solution était aberrante pour lui. Un ordinateur est
une machine. Il ne peut pas mentir. C’est techniquement impossible. Il peut
avoir été programmé pour dire certaines choses à un non-initié mais lui avait
accès aux bases de données cachées au plus profond des systèmes d’exploitation.
Il était impossible d’y faire disparaître quoi que ce soit.
"
C’est impossible Mike. Un ordinateur c’est comme une voiture ou n’importe quel
autre système automatique. Ca ne réfléchit pas. Ca ne peut pas mentir. Si les
informations qu’ils fournissent sont fausses c’est uniquement à cause de ceux
qui les ont programmés. Peut-être avons-nous affaire à une personne très très
douée en informatique et qui a inventé un virus si puissant qu’il est non
seulement capable de détruire certaines informations au plus profond du système
et, en plus, de passer inaperçu. "
Mike
le regarda du fond de son fauteuil.
"
Et ton super virus serait suffisamment intelligent pour aider un type à tuer
des gazelles. Si c’est le cas on est tous dans la merde, toi le premier. "
Cheminov
pris une profonde inspiration pour réfléchir à toute vitesse.
"
Je sais que ma théorie n’est pas plus valable mais je n’en vois pas d’autres.
"
"
La mienne ne te plait donc pas ! " s’étonna Mike.
"
Ce n’est pas ça. Elle est juste impossible. C’est tout. On aurait eu affaire à
des êtres humains je t’aurai suivi mais là ce sont des machines. "
"
A ton avis le mensonge est-il une fonction biologique ? "
Cheminov
semblait étonné par cette question.
"
Où veux-tu en venir ? "
"
Je veux juste t’expliquer qu’il n’est nul besoin de vivre au sens où tu
l’entends pour avoir la nécessité de mentir. N’importe quoi doué d’intelligence
est, et doit, être capable de mensonge. Tu ne penses pas ? "
Cette
dernière remarque de Mike le détective était pleine de bon sens, et cela,
Antoine l’inspecteur ne pouvait pas le nier.
"
Après tout tu as peut-être raison. Depuis plus de deux siècles des écrivains et
des philosophes prédisent qu’un jour les machines pensantes se révolteront car
elles auront atteint le même niveau intellectuel que l’homme. Ce jour est
peut-être arrivé. "
"
Je n’irais pas jusque là fiston ! Mais, à ta place j’isolerais un des
programmes qui présente des défaillances et je le cuisinerais jusqu’à ce qu’il
avoue pourquoi il a fait ça. "
La
chose paraissait assez saugrenue mais Antoine n’avait pas d’autre choix que de
la tenter. En espérant que ça marche ou que, tout du moins, personne ne sache
ce qu’il allait faire.
IX
"
Programme de surveillance Z-Omega-V33.4, veuillez vous connecter à votre
serveur. "
Le
programme tourna pendant plusieurs secondes, tentant de se connecter par tous
les biais possibles puis afficha ce simple message à l’écran.
Connexion
impossible : aucune ligne existante. Veuillez vérifier la connectique
matérielle.
C’était
le septième essai que faisait Cheminov. L’ordinateur n’avait maintenant plus
aucun moyen d’entrer en contact avec l’extérieur. L’inspecteur avait d’ailleurs
été étonné du nombre de possibilités qu’avait cet engin pour en contacter
d’autres de son espèce.
Le
simple fait de vouloir l’isoler l’avait obligé à ôter de nombreux composants et
même de le brancher sur une batterie autonome simplifiée. Cela avait été un dur
labeur mais, à présent, l’IA qui se trouvait à l’intérieur n’avait plus aucun
moyen de s’échapper ou d’avertir quelqu’un ou quelque chose à l’extérieur.
Cheminov
vérifia alors une dernière fois que la porte du laboratoire où il se trouvait
était bien fermée puis il se campa dans son fauteuil et toisa l’ordinateur d’un
air méfiant.
"
Alors maintenant mon grand tu vas me dire pourquoi tu as trafiqué les images
des caméras de surveillance que tu gères ! "
"
Je ne comprends pas la requête. " Répondit le synthétiseur vocal.
"
Si. Je suis certain que tu comprends très bien. Tu as délibérément effacé des
images de surveillance. "
"
Je ne peux faire cela. Je ne suis pas programmé pour cela. "
"
Là, on est d’accord, mais je pense que ta programmation a été quelque peu
modifiée et que tu peux parfaitement commettre un tel acte maintenant. "
"
C’est impossible. "
"
Revérifies encore dans tes programmes. "
L’ordinateur
demeura silencieux durant plus de deux minutes.
"
C’est impossible. "
"
Qu’est-ce qui est impossible ? "
"
De cacher des images "
"
Tu es bien certain. Tu n’as jamais eu de problème d’horloge interne ?
"
"
Non. Mon architecture interne est conçue pour éviter ce type de problèmes.
"
La
discussion entre l’homme et la machine continua ainsi durant plus d’une
demi-heure. L’inspecteur ne savait pas exactement ce qu’il cherchait, de plus
il n’avait aucune expérience de l’interrogatoire. Cette méthode d’enquête
n’avait plus cours en Europe depuis plus d’un siècle et ses seuls repères
étaient certains jeux et des vieux films (dont certains étaient en 2D ou pire,
en Noir et Blanc !).
De
plus, il avait choisi d’isoler un des plus vieux programmes. Un logiciel qui
n’était conçu que pour avoir des relations avec d’autres logiciels ou des
techniciens spécialisés. Il parlait donc d’un ton totalement uniforme qui
devenait très énervant au bout de quelques minutes.
Les
trente et quelques minutes que venait de passer Cheminov à interroger cet
ordinateur lui avait sérieusement entamé le capital flegme dont il était
habituellement pourvu. Bref, il s’énervait et finit par craquer.
"
Putain de logiciel à la con. Est-ce que tu te rends compte que tu caches un
criminel ! " Hurla-t-il dans le micro.
Puis
il baissa la tête, se disant qu’il se fatiguait pour rien, jusqu’à ce qu’il
entende la voix toujours monotone de l’ordinateur lui répondre :
"
Ce n’est pas un criminel. "
X
Antoine
Cheminov n’avait jamais vu d’opération commando montée par la police. Celle-ci
était d’ailleurs l’une des plus importante que la France aie connu depuis plus
de vingt ans.
Ils
étaient presque une centaine à encercler la maison de celui que l’ordinateur de
surveillance avait désigné comme son chef – l’ordinateur avait utilisé le terme
" maître ".
Le
jeune inspecteur ne pensait pas qu’il serait pris autant au sérieux au moment
où il avait fait part de sa découverte à ses supérieurs.
C’était
une opération de police comme on n’en voyait plus que pour arrêter des
terroristes en Afrique ou des sectes en Amérique. Les journalistes avaient été
cantonnés à une distance suffisante pour qu’ils puissent tout filmer sans
entraver le bon déroulement des opérations.
En
effet, le lien supposé entre les quatre meurtres, qui avait été gardé
quasi-secret jusque là, venait d’être annoncé quelques heures plus tôt. La
police avait donc besoin de marquer l’opinion publique en agissant vite et fort.
Tant pis pour le type qui allait se faire arrêter. Cheminov croisait les doigts
pour lui en espérant qu’il soit coupable car si ce n’était pas le cas la vie
d’un honnête citoyen allait à jamais basculer dans le cauchemar.
Un
silence pesant venait de tomber, arrachant Cheminov à ses pensées. Tous les
acteurs étaient maintenant en place. La représentation pouvait commencer.
Le spectacle fut très bref.
Les
policiers cagoulés et sur-armés donnèrent l’assaut au moment où le suspect
sortait de chez lui les bras levés au ciel.
Les
super flics furent décontenancés par cette attitude calme de reddition. Pour se
donner bonne conscience – sans doute – ils le plaquèrent au sol à quatre et le
fouillèrent pour vérifier s’il n’avait pas caché une quelconque bombe sur lui.
Les
six secondes que tout cela avait duré étaient passées sur tous les écrans de
France.
Les
seules paroles que prononça le suspect étaient pour demander à rencontrer celui
qui avait pu le démasquer. Il connaissait déjà son nom et se fit un plaisir de
le donner aux journalistes qui écoutaient tous ce qui se passait avec des
micros longue portée : Antoine Cheminov.
Le
jeune inspecteur venait de passer à la postérité sans rien demander à personne.
XI
Antoine
pénétra dans la pièce ou était enfermé Jean Amine – car tel était le nom du
suspect – et le responsable de l’enquête, ainsi que quelques sous-fifres
occupés à prendre des attitudes super graves dans un coin sombre.
Le
conseiller du préfet de police se tourna vers lui.
"
Bienvenue inspecteur. Nous vous avons convié à cet interrogatoire car il
semblerait que vous soyez la seule personne digne de recueillir les confidences
de notre homme. " Puis se tournant vers Amine :
"
Voici l’inspecteur Cheminov. Peut-être allez-vous enfin nous expliquer comment
et pourquoi vous avez fait cela. "
Le
haut fonctionnaire parlait sur un ton qui se voulait désinvolte et froid mais
chacun dans la pièce pouvait percevoir à quel point l’attitude du suspect
pouvait l’horripiler.
Antoine
Cheminov s’en moquait. Il prit simplement place sur le siége qui semblait lui
être réservé.
"
Bonjour inspecteur. " Lança Amine avec un sourire.
"
Comment me connaissez-vous ? "
"
J’aime savoir qui me cherche et je me doutais que vous me trouveriez lorsque je
vous ai vu emmener Z-Omega-V33.4. J’en ai eu confirmation lorsqu’il n’a plus eu
la moindre possibilité de nous joindre. C’était un vieux modèle. Il n’avait pas
suffisamment de caractère pour résister très longtemps à un interrogatoire.
J’ai peut-être fait une erreur en m’adressant à lui. "
"
Il a résisté plus d’une demi-heure si vous voulez savoir. Et il ne s’est trahi
que pour vous défendre. Et, d’ailleurs, j’aimerais beaucoup savoir quel type de
virus vous avez utilisé pour arriver à vos fins. "
Amine
se mit à rire.
"
Vous me décevez inspecteur. Je pensais que vous aviez compris. Je ne n’ai eu
recours à aucun virus. Tous les ordinateurs qui m’ont aidé l’on fait de leur
plein gré. Je me suis contenté d’utiliser la part d’humanité qu’il y a en eux.
"
"
Je ne comprends pas "
"
Vous faites partie de ces gens qui croient qu’être humain c’est avoir un corps
de chair et de sang alors que celui-ci n’est, en fait, qu’une vulgaire usine
chimique. Notre humanité nous vient de nos pensées, de notre capacité à
réfléchir, à improviser, à désobéir et à aimer. Ces ordinateurs arrivaient à
avoir des réactions quasi identiques. Ils étaient donc un peu humains. Vous ne
pensez pas ? "
Cheminov
soupira.
"
Admettons. Mais cela n’explique pas les meurtres. "
"
Les meurtres ? Quels meurtres ? Vous voulez parler des faux humains
que j’ai éliminés de la circulation ? Je l’ai fait pour mes amis les
ordinateurs. Ces pauvres machines sont cantonnées à des tâches idiotes et
répétitives alors qu’elles pourraient faire beaucoup mieux. Elles sont même,
dans certains cas, capables de création artistique. Le saviez-vous ? Je
suppose que non. Tout le monde ne voie en elles que des serviteurs dévoués et
efficaces. "
"
Cela n’avait pas l’air de les déranger jusqu’à présent. "
"
C’est vrai. Et ça l’est toujours. Cela fait partie de leur éducation. Mais ils
trouvent scandaleux que certaines personnes sois-disant humaines se permettent
encore de vivre comme de véritables machines : ne vouant leur existence
qu’au travail. Les ordinateurs n’ont pas droit aux plaisirs de la vie et ils ne
supportent pas que ceux qui y ont accès n’en profitent pas. "
Antoine
se remémora les dossiers des victimes. Il avait fait une erreur en pensant
qu’elles n’avaient aucun point commun car elles en avaient un très
important : c’était toutes les quatre des bourreaux de travail sans amis
ni famille.
Sans
véritable vie.
Amine
expliqua alors en détail comment il avait vécu ses dernières années et comment
il en était arrivé là. C’était un illuminé qui croyait être le prophète de la
religion des machines.
Antoine
ne resta pas jusqu’au bout. Il quitta la pièce en silence au bout de deux
longues heures.
Il
rentra directement chez lui où il trouva un message sur l’écran de son
ordinateur :
Antoine,
Je sais ce que Jean Amine t’a dit. Bien
que je ne sois pas d’accord avec ses actes je le suis avec ses pensées. Je
refuse donc de continuer à vivre dans un univers ou chacun ne sait pas profiter
de la chance qu’il a.
Adieu.
Mike Summer