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rue crazy, maison des nouvelles

31 mai 2012

Regrets blancs

La version PDF à imprimer et lire tranquillement : Regrets_blancs

Les cabinets des psychiatres se ressemblaient tous. Il fallait dire qu’ils étaient devenus très nombreux avec les nouvelles peines infligés aux criminels. Des industriels avaient flairé la bonne affaire et conçu du mobilier pratique et standard, dont ils s’étaient tous équipés. Éric Somberg avait donc l’impression d’arriver en terrain connu.

-     Bonjour Monsieur Somberg, commença le médecin dès qu’il fut assis. Je suis le docteur Heizen, votre psychiatre. Comme c'est votre première séance. Je vais vous expliquer certaines choses spécifiques à cette forme de thérapie.

-     J'ai déjà eu affaire à certains de vos confrères.

-     Je sais. J'ai votre dossier. Dans les cas normaux je me contente de superviser les entretiens mais je laisse des assistants les gérer. Pour vous, j'ai fait une exception parce que votre cas m'intrigue. Vous n'avez rien d'un criminel. Pourquoi en être arrivé à de telles extrémités ?

Le psychiatre n’avait visiblement pas l’intention de prendre des gants, ou de perdre son temps en tournant autour du pot. Le dossier d’Éric l’avait certainement renseigné sur son acuité intellectuelle et il savait qu’il n’arriverait pas à grand chose avec des techniques éprouvées. D’autre avaient essayé et avaient échoué.

-     Je croyais que nos dossiers ne vous révélaient pas nos crimes.

-     Non. Je ne sais pas exactement ce que vous avez fait. Mais je sais quelle dose de PZK on vous a administré. Et ces doses correspondent à des crimes de premier niveau. Vous souhaitez m'en parler ?

-     Non. Donnez moi donc de votre poison et laissez moi retourner chez moi.

-     Ca ne marchera pas comme ça avec moi. Vous allez devoir me parler durant nos rencontres. Vous allez devoir me raconter pourquoi vous en êtes devenu un criminel.

-     Ca ne vous regarde pas.

-     J’ai bien peur que si. Je vais devoir augmenter vos doses de PZK jusqu'à ce que vous ressentiez le besoin pressent de me parler.

-     Alors augmentez-les. Donnez-moi même une double dose aujourd'hui.

Ce psychiatre avait l’habitude des esprits tordus. Lui aussi il lui en fallait plus que quelques bravades pour le faire reculer.

-     Vous ne supporteriez pas les effets si je vous donnais déjà une double dose. Puisque vous avez déjà eu droit à des traitements, même s'ils n'ont servi à rien, vous savez déjà que les regrets que provoque cette drogue sont proportionnels à la dose qu'on vous injecte.

-     Je sais. Je suis assez vieux pour avoir connu l'ancien système. Celui où on vous collait en prison pendant une durée censée réparer le mal que vous aviez fait. Puis vous êtes arrivés, vous et les chimistes de la tête avec vos drogues qui donnent tellement de regrets que ca coupe l'envie de recommencer. Et tous les pacifistes se sont félicités parce qu’on a fermé les prisons. On a préféré laissé les salauds dehors à se morfondre.

-     C'est bien l'effet recherché. Visiblement vous faites partie de ceux que ca ne fait pas reculer. Au contraire, après chacun de vos traitements vous avez récidivé avec une gravité supérieure. C'est ça que je n'arrive pas à comprendre. Nos résultats sont plus qu'excellent sur plus de quatre-vingt-seize pour cent des crimes et délits. Les seuls qui récidivent sont souvent diagnostiqués comme de vrais fous furieux, pour utiliser un vocabulaire vulgarisateur. Aucune maladie mentale ne vous affecte, vous. Alors, pourquoi ?

-     C'est mon problème. Pas le vôtre.

-     Bon. Je vais vous injecter votre dose pour aujourd'hui et nous verrons bien si vous avez suffisamment de regrets demain pour avoir envie de me parler.

Une injection puis Éric Somberg put rentrer chez lui. Il retrouva son appartement et ses toiles blanches. L’attente de la séance du lendemain commençait. L’attente de l’inspiration aussi. Laquelle était la plus douloureuse ? Difficile à dire

 

Les traitements lourds, comme ceux dont ‘bénéficiait’ Éric étaient faits de rendez-vous – et d’injections, si besoin – quotidiens. Même les week-ends étaient sans répits tant pour le patient que pour son bourreau. Éric était toujours à l’heure à ses séances, mais il ne parlait pas. Il préférait être agressif avec son médecin. Ce dernier ne comprenait pas cette stratégie, qui ne correspondait nullement à celle prévue par les règles de son métier.

Mais, le médecin n’abandonnait pas la partie.

-     Monsieur Somberg. C'est notre huitième rencontre. Asseyiez-vous et dites moi ce qui vous pousse à faire tant de mal autour de vous.

-     Peut-être que j'aime vivre dans la souffrance des autres.

-     Ou dans la vôtre.

-     La mienne ?

-     Oui. C'est la seule explication que je trouve à votre cas. Mais ça n'explique qu'à moitié vos raisons d'agir ainsi.

-     C'est absurde comme explication.

-     Donnez m'en une meilleure alors.

Le docteur ne croyait pas trop à cette nouvelle stratégie. Éric était trop malin pour se laisser avoir aussi facilement.

-     Vous êtes têtu. Vous n'avez pas besoin de savoir pourquoi j'ai fait cela. J'avais peut-être une raison personnelle, une vengeance contre cette femme. Après tout elle avait été une de mes institutrices.

-     Vous mentez mal.

-     Vous pouvez vérifier.

-     Je vous crois si vous me dites qu'elle était une de vos anciennes institutrices. Mais je ne vous crois pas quand vous prétendez lui avoir fait cela pour cette raison. Je vérifierai.

-     Faites. Mais, en attendant, donnez-moi ma dose. Et n'oubliez pas de l'augmenter.

-     Vous êtes le seul à vouloir continuer à avoir votre dose. Les autres essayent de nous faire oublier leur dose. Certains en arrivent même à s'inventer des faux souvenirs et des fausses raisons. Ils exagèrent leurs regrets pour nous faire croire qu'ils souffrent bien plus qu'ils ne devraient. Vous êtes diffèrent. Vous semblez aimer ça de ressentir tous ces regrets, même s'ils sont artificiels. Je me demande si je ne vais pas vous interdire de dose.

Finalement, Éric avait peut-être été trop loin. Le docteur commençait à soupçonner un comportement qu’il n’osait pas croire.

-     Ce serait contraire à la décision de la justice, rétorqua Éric en perdant presque son calme.

-     C'est vrai. Vous allez donc avoir votre dose. Mais vous approchez de la dose dangereuse. En théorie en tout cas. Parce que je n'en vois pas les effets sur vous.

-     Vous vous attendiez à quoi ?

-     Vous devriez avoir les yeux rougis et le nez qui coule.

-     Pleurer ? Je ne sais plus pleurer depuis longtemps.

-     Alors vous n'êtes pas humain.

-     Probablement. Vous n’avez qu’à continuer à augmenter mes doses pour tester mon seuil de tolérance. Ma dose maintenant s'il vous plait. Ma séance est terminée.

 

Les jours et les semaines s’enchainaient. Le docteur commençait à entrevoir une solution mais elle semblait tellement farfelue, voire illogique, qu’il ne voulait pas y croire.

-     Alors, Toujours pas assez de regrets pour avoir envie de me parler ? Peut-être préféreriez-vous parler à un autre thérapeute ?

-     Vous ou un autre ca n'a pas d'importance. Vous n'avez pas besoin de connaître mes raisons de toute façon.

-     Je me suis renseigné à propos de cette histoire d'institutrice. Elle était bien une des vôtres. Mais, étrangement, elle ne semble pas avoir eu le moindre problème avec vous. Vous n'avez jamais été un élève difficile, ni avec elle ni avec aucun autre enseignant. Par contre, elle était atteinte d'une maladie incurable qui la faisait terriblement souffrir. D'une certaine façon votre crime pourrait être considéré comme une simple euthanasie. Si celle-ci n'était pas interdite dans notre pays vous n'auriez même pas été condamné. Et avec notre législation actuelle vous ne devriez pas avoir de traitement PZK.

-     Vous faites fausse route. J'avais de vrais motifs pour la haïr. Maintenant tout ça est fini. J'aurais préféré lui faire regretter tout ce qu'elle a pu faire, à moi et à d'autres mais, comme vous l'avez dit, elle était très malade. Trop tard pour elle. Plus le temps d'avoir des regrets. Elle n'est plus là maintenant, et c'est bon débarras.

-     Cela ne change rien à l'étrangeté de votre cas. Le traitement qu'on vous inflige ne vous fait aucun effet. Vous devriez vous morfondre avec les doses que vous recevez quotidiennement.

-     Sans doute que j'avais trop de haine contre elle pour éprouver le moindre remord ou regret. Vous n'imaginez pas, même avec toute votre science, la dose de rancœur qu'on peut accumuler depuis l'enfance. Cette haine qui grandi à l'intérieur et qui fini par devenir une obsession. Votre chimie ne peut rien contre ça. La voir mourir, la faire mourir, même après toutes ces années, m'a apaisé de telle manière que vous ne pourrez jamais me faire regretter mon geste.

Fin de la séance. Injection. Retour dans l'appartement presque vide. Encore des toiles blanches. Routine. Terrible routine. Improductive.

 

-     Vous êtes bientôt arrivé à la fin de votre peine. Vous savez qu'on me demande un rapport sur votre réinsertion possible et votre retour à la vie normale. Vous devez vous douter que je vais conseiller qu'on vous maintienne sous traitement.

-     Oui.

-     Ce que vous ignorez c'est quel produit je vais conseiller.

-     Comment ça, quel produit ?

-     Oui. Le traitement au PZK n'a rien donné. Cette substance aurait dû vous faire éprouver de nombreux et douloureux regrets. La thérapie que j'ai tenté de vous faire suivre devait vous donner la profonde envie de ne jamais refaire de mal à personne. Ca n'aurait donc aucun intérêt que je vous "prescrive" un traitement au PZK.

-     Vous n'avez rien d'autre de toute façon.

-     C'est faux. Nous avons des traitements de plus long terme. L'idée c'est de vous assommer complètement. Que pensez-vous d'un produit qui vous enlèverait toute imagination ?

-     Vous n'avez pas le droit de faire ça !

Éric avait bondi de son fauteuil. Il était rouge de colère, au bord des larmes, au désespoir.

-     Bien sur que si. Un artiste comme vous n'aimerait pas se retrouver sans rêve. Je peux faire ça.

-     Je suis déjà sans rêve. Mes toiles restent blanches.

-     C'est pour ça que vous avez tué cette dame ? Elle vous a volé vos rêves ?

-     Non. Elle devait m'aider à les retrouver. Elle a échoué.

Maintenant Éric pleurait réellement. Il n’arrivait pas à retenir ses larmes. Il aurait voulu que son chagrin sorte autrement qu’en eau, mais la pression devait être trop forte et la nature animale reprenait le dessus.

-     Et vous l'avez tué pour vous venger.

-     Vous ne comprenez rien.

-     Expliquez-moi.

-     Je regrette, mais ca ne sert plus à rien de vous expliquer. En fait, ca n'a jamais servi à rien d'expliquer. Vous l'avez dit, je suis un artiste. Je ne peux pas expliquer ce que je fais. Sinon ce ne serait plus de l'art. Tout juste de l'artisanat.

-     Ca n'explique pas pourquoi vous résistez au traitement. Vous devriez souffrir le martyr.

-     Souffrir le martyr. C'est bien comme peine de substitution à l'emprisonnement. C'est tellement plus humain. Déclencher des envies de suicide chez les criminels et les laisser se désespérer.

-     Meilleur taux de récidive. Quasiment nul. Mais vous changez de conversation pour ne pas répondre à la vraie question. Pourquoi ne souffrez-vous pas ?

-     Vous êtes à coté de la plaque. Donnez-moi donc ma dernière dose. Écrivez votre ordonnance. Mettez-y ce que vous voulez. Ça n'a plus d'importance.

Dernière dose.

Dernier retour.

 

-     J'aurais dû comprendre plus tôt.

-     Comprendre quoi ?

Le docteur Heizen regardait tristement le corps sans vie de l'artiste.

-     Comprendre pourquoi il avait fait ça.

-     C'est sa mini lettre de suicide qui vous donne la réponse. Deux mois de traitement et ce sont ces quelques mots qui vous donnent la clé ?

-     Oui sergent.

-     Vous voulez bien expliquer au simple flic que je suis.

-     Certains artistes ont besoin de souffrir pour créer. C'est souvent pour les périodes de manque qu'ils se droguent. Pas pour les quelques moments où ils "planent". Celui-là se servait du PZK comme stimulant. Il a fait de petites bêtises il y a quelques années. Il avait eu de petites doses. Ça lui a permit de créer ses premières toiles. Mais, comme tous les drogués, chaque prise le rendait un peu plus immunisé et la dose suivante devait être plus forte. Il a fini par tuer quelqu'un. Mais comme il n'avait l'âme d'un assassin il a tué une femme qui cherchait à se faire tuer. Il a fait ça pour lui rendre service. Les regrets factices produits n'ont pas suffit pour de nouveaux chefs-d'oeuvre.

-     Les regrets. Il carburait aux regrets ?

-     Oui. Et maintenant c'est moi qui vais devoir vivre avec le regret de n'avoir rien compris. Du regret cent pour cent naturel. Impossible à soigner.

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27 janvier 2012

LE DESCENSEUR SOCIAL

La version PDF à imprimer et lire tranquillement : Le_descenseur_social



-    Alors ?
-    Tu ne voudras jamais me croire.
-    Raconte quand même.
-    Elle file son fric aux petites sœurs.
-    Quoi ? Mais c'est les petites sœurs qui sont là pour nous aider. Pas l'inverse. Elle est vraiment trop bizarre.
La conversation continua encore plusieurs heures, de supputations en conjectures, sans oublier les délires les plus fous.
L'heure de reprendre du service approchait et les deux filles allèrent faire un brin de toilette, prendre un "remontant", enfiler leur tenue du jour et reprendre leur place dans leur vitrine.
Les bordels du niveau douze étaient très bien organisés. Les filles, les garçons et les autres étaient propres et souvent bien faits. Les clients venaient des niveaux trois et quatre le plus souvent. Ceux des niveaux cinq à neuf n'avaient que très rarement les moyens. Quant aux niveaux un et deux ils préféraient se retrouver entre cadres supérieurs et petits bourgeois dans les établissements du niveau onze, voire du niveau dix. Les gens de la surface, eux, ne s'abaissaient que très rarement à descendre jusqu'ici. Certains murmuraient même qu'il n'y avait plus personne à la surface.
Pourtant la surface restait le rêve de tout le monde. S'en rapprocher était le projet de tout un chacun. Les gens qui vivaient et survivaient ici étaient, avant tout, réalistes. Réalistes mais superstitieux. La plupart ne savaient même pas pourquoi la surface était inaccessible au commun des mortels. Et quand l'être humain n'a pas de réponse à ses questions il en invente.
Pour l'instant les seules questions qui occupaient les pensées de Marine et Eulalie concernaient leur collègue de vitrine, Stéphanie. Cette fille était la plus chère de la vitrine. Une plastique admirable et une capacité à faire jouir les clients et clientes comme personne. Toutes les filles qui la connaissaient étaient certaines qu'elle ne tarderait pas à rejoindre le niveau onze et ses établissements haut de gamme. Elle n'avait rien à faire ici. Ici, c'était l'étage des employés honnêtes et des jeunes cadres débutants.
Pourtant Stéphanie était là depuis plus de deux ans. Marine et Eulalie avaient donc décidé de prendre les choses en main et d'enquêter sur leur collègue. Marine l'avait donc suivi après la remise de la paye en fin de mois, pour savoir où elle allait déposer son argent. Elle qui était la seule à ne pas être payées par virement direct sur son compte bancaire.
Elle l'avait donc suivie. Elle s'était demandé jusqu'à quel point Stéphanie ne l'avait pas repéré quand elle avait pris, à la surprise de Marine, le métro vertical pour descendre au niveau quinze. Pas une zone où une fille comme ça devrait circuler. Mais Stéphanie n'était pas allé très loin de la station. Les petites sœurs était un organisme de charité qui s'occupait des plus pauvres, des malades mentaux et de tout ceux qui ne trouvaient pas leur place dans les cases et les nomenclatures de l'administration et des grandes entreprises.
Marine avait du mal à y croire mais Stéphanie avait remis une grande partie de son argent à la personne de l'accueil. Une dame qui semblait la connaitre. Stéphanie avait l'air d'une habituée. C'était peut-être pour ça que personne ne s'était aventuré à l'aborder ou l'agresser. Marine, elle, avait du se de défaire de quelques pièces pour être tranquille. Elle avait bien pensé un moment satisfaire son "agresseur" de la manière qu'elle maitrisait le mieux mais risquer d'attraper une saleté et passer plusieurs semaines sans travailler à cause de ça n'en valait pas la peine. Après tout, il semblait préférer le contenu de son portefeuille à celui de sa culotte. Il l'avait donc délesté de l'équivalent de deux prestations.
Heureusement, Stéphanie était revenue rapidement et Marine put, elle aussi, regagner la sécurité du niveau douze.
A la fin de leur service les deux apprenties espionnes décidèrent d'aller voir Stéphanie pour lui poser la question.
Elles durent quand même attendre qu'elle en finisse avec ses derniers clients.
-    Elle est encore avec un couple. Je ne sais pas comment elle fait. Moi, je n'arrive jamais à satisfaire les deux en même temps.
-    C'est surtout que tu n'aimes pas trop satisfaire les femmes.
-    Désolé de ne pas être comme tout le monde. Moi, je n'aime que les hommes. A chacun ses vices.
-    Tient. La voilà.
-    Stéphanie. On peut te parler s'il te plait ?
-    Bien sur. Vous allez m'expliquer pourquoi Marine m'a suivi hier. C'est ça ?
Elle avait donc bel et bien été repérée.
-    Oui. Confirma Eulalie. Faisant preuve d'un courage rare chez elle. La curiosité l'emportait sur la lâcheté dans certaines situations.
-    Alors. Qu'est-ce que vous voulez tant savoir ?
-    D'abords pourquoi tu es ici avec nous alors que tu pourrais être un ou deux étages plus haut ? Et pourquoi tu ne fais rien pour monter ? Tu files ton fric à des nanas qui vont s'en servir pour faire survivre des pouilleux. A quoi bon ?
-    Peut-être parce que j'aime bien cet endroit.
-    Ne te fous pas de nous. Même Loana qui est une pure salope qui se ferait sauter toute la journée même si elle n'était pas payée préfèrerait le faire deux étages plus haut.
-    Pourquoi vous voulez tellement monter de deux étages. Ca vous avancerait à quoi ? Les clients auraient plus de fric et vous demanderaient des choses plus vicieuses. C'est ça le pied pour vous. Moi je préfère mes clients d'ici. Leurs délires sont aussi les miens. Faire jouir des jeunots en mal d'expériences ou amuser des couples qui s'ennuient au quotidien c'est mieux que d'essayer de soutirer de vraies émotions à des grands messieurs ou à des grandes dames. Talquer le cul d'un patron pour qu'il se la joue bébé qui va se taper sa nounou dès qu'il aura fini son biberon ça ne m'amuse pas. On est mieux ici les filles. Je vous le dis.
Ce ses paroles pleines de poésie et d'admiration pour l'espèce humaine Stéphanie leur tourna le dos et s'en alla. Les deux curieuses restèrent interdites presque trois secondes. Ce qui est énorme pour elles.
-    Elle a peut-être raison. Finit par déclarer Marine
-    Non. Elle se fout de nous. Qu'elle ne veuille pas monter je veux bien l'admettre mais elle n'a aucune raison de filer son fric aux inférieurs. Si elle trouve qu'elle a trop de fric je veux bien l'aider à s'en débarrasser moi.
-    Laisse tomber. On verra ça demain.
-    Oui. Je ne la lâcherai pas aussi facilement.
Eulalie était presque en colère. Même Marine se demandait pourquoi elle réagissait aussi extrêmement. Après tout même si le comportement de Stéphanie était bizarre, elle ne leur faisait aucun mal en étant ainsi.


En fait, ce furent trois jours qui s'écoulèrent avant que les filles ne reviennent à la charge.
Cette fois Marine n'accompagna Eulalie que pour garantir qu'elle ne transforme pas une simple discussion en crêpage de chignons. Marine avait pratiquement oublié toute cette histoire et se satisfaisait de la version de Stéphanie. Eulalie, non.
Évidemment, Stéphanie essaya à nouveau de leur raconter son histoire mais comme elle semblait plus fatiguée et agacée qu'à l'habitude –peut-être un client difficile – elle finit par craquer.
-    Vous tenez vraiment à savoir. Alors je vais vous expliquer. Mais je vous préviens tout de suite que ce que je vais vous montrer va vous retourner la tête.
-    J'ai trop peur. Bouhouhouhou. Eh ! Tu nous prends pour des gamines de huit ans.
En fait, même si Eulalie faisait sa crise de bravoure Marine, elle, n'était pas trop chaude pour apprendre des choses potentiellement effrayantes, voire dangereuses.
Surtout que Stéphanie prit un air de conspirateur expérimenté pour les inviter à la suivre chez elle. Pour parler plus tranquillement, avait-elle ajouté.
Une fois bien installées dans les fauteuils du salon de Stéphanie, un verre à la main –être un conspirateur n'empêche pas d'être un hôte attentionné – les deux curieuses s'attendait à de grandes révélations.
-    D'abords, les filles, laissez-moi vous poser une simple question : avez-vous déjà vu la surface ? En vrai, je veux dire, pas dans des reportages ou des photos. De vos yeux.
-    Non, répondirent les filles.
-    Alors pourquoi tenez-vous tant à vous en rapprocher ou y vivre.
-    Parce que c'est là que vivent les gens les plus fortunés. L'air y est naturel. Il y a la lumière du soleil. Des vrais animaux en liberté et tous ces trucs sympas partout.
-    Qu'est-ce que tu en sais ? insista Stéphanie en se penchant vers Marine.
En fait, Marine se contenter de répéter ce qu'elle avait toujours entendu, vu, lu etc. mais elle réalisa en même temps qu'elle n'avait jamais put vérifier par elle-même que tout cela existait bel et bien. Elle convint aussi qu'elle n'avait même jamais rencontré personne l'ayant vu par lui-même.
-    C'est normal, déclara Stéphanie. Il n'y a pas de surface. Nous sommes dans une sorte de grand vaisseau spatial sphérique et au dessus de l'étage un il y a plusieurs étages de champs artificiels. C'est vrai que certains de ces espaces son remplis de forets tout aussi peu naturelles. Elles servent autant à la production de bois qu'au plaisir des plus fortunés. Mais nul lumière solaire n'a jamais frappé l'œil de qui que se soit dans notre monde. Pour la bonne et simple raison que notre vaisseau est en route pour une galaxie lointaine et que son voyage va durer des milliers d'années. Nous sommes terriens d'origine. Mais nous ne sommes pas sur Terre. Vous pourrez grimper autant que vous voudrez tout ce que vous atteindrez c'est la carapace extérieure du vaisseau, qui nous protège contre toutes les formes d'agressions de l'univers.
-    Tu racontes n'importe quoi. Tout ça pour ne pas nous dire pourquoi tu files ton argent aux petites sœurs. Arrêtes d'essayer de nous perdre. Dis-nous la vérité.
-    Eulalie, tu es une conne. Mais comme je n'aime pas être prise pour une folle je vais vous prouver mes dires en vous emmenant en haut. Comme ça vous pourrez constater par vous-même que je ne fais que vous dire la vérité.
-    On n'a pas le droit d'aller là-haut, objecta Marine. Elle était encore moins fière maintenant que Stéphanie leur avait fait ce discours. Jouer à la petite détective était une chose mais braver de tels interdits en était une autre.
-    Pas besoin d'avoir le droit quand on sait emprunter des chemins non surveillés.
-    Et toi tu en connais des chemins comme ça ? Eulalie essayait de mettre le plus de moquerie possible dans sa phrase mais ça ne suffisait pas à cacher la peur qu'elle éprouvait aussi maintenant. Tout le monde était éduqué dans le plus strict respect des "étages".
Vous pouvez descendre tant que vous voulez mais ne montez pas plus haut que votre étage. Telle était la loi qu'on enseignait aux enfants dès leur plus jeune âge. Ce n'est que plus tard qu'ils ajoutaient d'eux-mêmes que les étages inférieurs au leur n'étaient pas nécessairement très fréquentables et ne devaient donc pas être visités non plus. Plus des deux tiers de la population ne connaissait concrètement qu'un seul étage durant toute sa vie et rarement en entier.


Stéphanie, suivie des deux curieuses, avait revêtu une tenue digne d'un spécialiste de la randonnée de haute montagne. Ses consœurs s'étaient contentées de leurs habituels vêtements de sport. Dans leur profession, conserver une condition physique en parfait état était éminemment souhaitable.
Pour compléter sa tenue de montagnarde Stéphanie portait un gros sac de randonné qui semblait lourd.
-    Où est-ce qu'on va exactement ?
-    On va monter.
-    Jusque là on avait compris. Mais comment tu comptes t'y prendre ? En escaladant les murs ?
-    C'est presque ça. On va passer par d'anciens conduits de secours et d'entretien. Il y a des échelles et des paliers. Certaines fois, il y a même des escaliers mais tout ça n'est pas en excellent état alors il vaut mieux être équipé et prêt à toute éventualité.
-    Équipé de quoi ? S'inquiétait Marine.
-    Éclairage, nourriture, matériel de premiers secours et ainsi de suite. Il faut bien que vous compreniez que nous serons livrées à nous-mêmes. En théorie nous ne serons qu'à quelques mètres de la civilisation mais, concrètement, ces quelques mètres étant en béton, en acier et autres matériaux résistants c'est comme si nous étions sur une autre planète. Vous allez d'ailleurs pouvoir constater cela très rapidement.
Elles étaient maintenant devant un immeuble d'habitation qui semblait relativement ancien. C'était très certainement un des premiers immeubles de l'étage. En effet, il n'avait pas de toit puisque son dernier étage touchait le plafond du niveau. Ces immeubles touche-ciel, comme les avaient nommés leurs premiers occupants n'étaient plus construits depuis longtemps. Vivre sous un "ciel" culminant à cent mètres d'altitude n'était déjà pas évident pour le moral, alors pouvoir le toucher de la main était cause de beaucoup de suicide au début de l'occupation des étages. Il avait donc été décidé de ne plus faire d'immeuble dépassant cinquante mètres de façon à ce que le "ciel" reste inaccessible.
Les filles pénétrèrent dans le hall de l'immeuble et se dirigèrent sans hésiter vers une porte située à coté des ascenseurs qui indiquait la laverie. La laverie était bien au bout du couloir après cette porte mais d'autres portes donnaient également sur ce couloir. Des portes de locaux techniques. Électricité et réseaux informatiques étaient signalés par des panneaux de danger et leurs portes fermés par des serrures électroniques à reconnaissance digitale.
Stéphanie sortie de sa poche un morceau de caoutchouc – ou du moins quelque chose qui ressemblait à un morceau de caoutchouc – et l'apposa sur le lecteur de la serrure. La porte ne protesta pas et se laissa ouvrir sans même gémir. Dans la pièce il y a avait des armoires avec des câbles qui sortaient de partout et des petites diodes qui clignotaient. Les filles n'y connaissaient pas grand chose en technologie mais elles n'avaient aucune idée de ce que cela pouvait être.
-    Ne vous laissez pas impressionnées par tout ça. Déclara Stéphanie. Ce ne sont que des leurres. C'est calqué sur les anciens modèles d'armoire réseau mais, en réalité, rien ne circule dans ces câbles. C'est juste la pour le cas où quelqu'un viendrait mettre son nez là où il ne faut pas.
Comme pour prouver ses dires la grande jeune femme poussa une des armoires, qui se laissa faire, et dévoila une porte métallique sans serrure ni poignet. Elle eu juste à la pousser pour l'ouvrir.
-    C'est une ancienne sortie de secours. Nous l'entretenons régulièrement en attendant le jour où nous en auront réellement besoin.
-    Nous ?
-    Je vous expliquerai ça plus tard. Pour l'instant on va entrer et s'équiper.
Elle leur tendit un casque de spéléologue équipé d'une lampe frontale qu'elle prit soin d'allumer elle-même, puis elle referma la porte.
Elles étaient maintenant toutes les trois dans une sorte de tuyau vertical de moins de deux mètres de diamètre. Si elles avaient connu le mot puits elles auraient dit qu'elles étaient au fond d'un bel exemplaire de cette espèce.
-    La première partie est la plus difficile. Il y a deux tronçons de cinquante mètres chacun en échelle le long de la paroi. Il y a un pallier au milieu mais nous ne pourront pas y rester très longtemps car il ne supportera que deux d'entre nous. Heureusement le dispositif de sécurité est encore fonctionnel alors vous allez mettre ces baudriers et les attacher sur le rail ici. Ca vous évitera de redescendre trop vite si vous loupez une marche.
-    Mais on arrivera jamais à monter jusqu'en haut. Je ne vois même pas le haut.
-    Désolé mais c'est trop tard pour faire demi-tour. Vous en savez déjà trop. Tu constateras que la porte de secours ne s'ouvre que depuis l'extérieur. Vous ne pouvez pas repartir. Votre liberté de choix se limite à rester ici à attendre la mort et me suivre vers le haut.



21 novembre 2010

Ma grande défaite

La version PDF à imprimer et lire tranquillement : Ma grande défaite

Je suis un soldat. Même si aujourd’hui je ne porte plus l’uniforme depuis longtemps, l’homme que je suis est né sur les champs de bataille. Sur un champ de bataille plus particulièrement. A cette époque j’étais un fier soldat des armées de l’empereur. L’oncle de notre simili souverain d’aujourd’hui…

 

*****

 

Les troupes avançaient en ordre dispersé. Des petits groupes s’étaient formés au fur et à mesure du temps passé côte à côte dans les batailles et autour des feux de camps. Le plus souvent, les hommes se réunissaient par région ou par catégorie sociale. Les berrichons avec les berrichons, les paysans avec les paysans, et ainsi de suite.

Deux hommes marchaient à l’écart du reste des troupes. Ils n’avaient pas l’air aussi joyeux que la majorité de leurs compagnons qui s’attendaient à une grande victoire sous les ordres du maréchal Ney.

Ces deux compagnons d’armes ne craignaient pourtant pas la défaite. En réalité ils n’avaient que faire de la bataille qui s’annonçait. C’était la nostalgie qui brouillait leurs yeux.

- A quelle distance est-ce qu’on est de notre village ? Demanda Pierre.

- Trop près et trop loin. Répondit Charles.

Encore une de ces réponses dont il était le spécialiste. Au village, seul le curé semblait comprendre et goûter de telles phrases. A tel point qu’il avait passé toute l’enfance de Charles à essayer de convaincre les parents du petit paysan d’envoyer leur fils dans une école de curés. Le séminaire qu’ils appellent ça.

Les parents de Charles avaient toujours refusé. Ils avaient de la religion mais ils avaient aussi porté la cocarde et auraient eut l’impression de trahir quelque chose s’ils avaient nourrit un homme d’église en leur sein.

Charles n’étant pas curé et ne sachant qu’à peine lire et écrire il lui fallait des réponses plus claires.

- Je ne comprends rien à ce que tu dis. On est loin ou pas ?

- On lest trop loin pour rentrer mais la distance vient de notre uniforme. Sans lui nous pourrions souper chez nous ce soir.

- Là je comprends.

Ce n’était pas tout à fait vrai mais, avec les années, Pierre avait appris à faire avec une compréhension partielle de son meilleur ami. Charles n’était pas dupe mais il ne l’aurait jamais dit à celui qu’il considérait comme son seul véritable frère. Contrairement à ceux qui partageaient son sang ce frère choisi ne s’était jamais amusé à le faire rouler dans les orties après l’avoir déshabillé et autres « farces » que ses aînés affectionnaient tant.

 

*****

 

Les feux étaient nombreux dans la plaine. Les mois de février sont rarement cléments dans la région champenoise.

Les rumeurs annonçaient la bataille pour le lendemain. Les prussiens n’étaient pas loin. On pouvait presque voir la lumière de leurs propres feux de camps.

Toujours à l’écart, Pierre et Charles discutaient.

- Pourquoi ne veux-tu jamais répondre à cette question ? Insistait Pierre.

- Pourquoi la réponse que je te donne ne te convient-elle jamais ? Répondait Charles.

C’était la même conversation avant presque toutes les batailles. Pierre voulait savoir pourquoi Charles avait signé ce foutu contrat quand le sergent recruteur était venu au village.

Lui-même l’avait fait par dépit amoureux mais il ne comprenait pas pourquoi son ami l’avait accompagné.

- Tu aurais pu devenir quelqu’un de bien, instituteur ou même travailler chez un notaire et monter à la capitale. Pourquoi risquer une peau qui vaut plus que la nôtre dans ces batailles.

- Parce que j’ai eu envie de vivre une grande aventure avant d’aller me cacher derrière des papiers. Savoir le prix de la vie pour ne pas l’oublier quand je serai, comme tu dis, quelqu’un de bien. Et puis je n’allais pas te laisser devenir le seul héros de la guerre de notre village. Avec toutes les jeunes filles qui vont espérer que tu leur compte fleurette il te faudra un coup de main. T’as beau être grand et fort tu ne pèseras pas lourd devant une armée de jeunes pucelles lancées à la chasse au mari.

- Tu sais bien qu’une seule m’intéresse et qu’elle n’a d’yeux que pour un autre… Je crois.

- Tiens. Tu as changé d’avis.

- Tu sais que ma tête tourne moins vite que la tienne. Elle m’a dit qu’elle en aimait u autre mais elle était là le jour de notre départ et je suis certain de l’avoir vu pleurer. Maintenant je me dis qu’elle voulait tester mon amour pour elle. Si elle m’aime crois-tu qu’elle m’attendra pendant les six années que je vais passer avec ce fusil ?

- Qui sais ce que la vie peut nous réserver comme surprise. Mais même si elle désire attendre son père ne sera pas du même avis tu sais. Alors garde-toi de trop rêver. Quand nous rendront nos fusils et nos bottes le fils de Louison et Jacques commencera à aider ses parents pour ramasser les patates. Beaucoup de choses auront changés et nous aussi. C’est peut-être toi qui auras oublié la belle Anne.

- Impossible.

 

*****

 

La bataille avait commencé depuis plusieurs heures. Les choix tactiques des armées napoléoniennes avaient encore été les bons. Les Prussiens avaient été pris à revers et leur arrière garde avait bien du mal à résister à l’avance de l’armée Française.

Il y avait peu de corps à corps dans les batailles tactiques comme celle-ci. Au plus près de l’ennemi on était à portée de fusils, soit quelques dizaines de pas et les fusils français faisaient mouche plus souvent que ceux des prussiens.

Quelques escarmouches opposèrent tout de même des groupes de soldats des deux camps. Une trop grande proximité physique, le manque de temps pour recharger les fusils. Bref, la baïonnette et le sabre devenaient les seules solutions valables.

Charles et Pierre se trouvèrent dans l’une de ces escarmouches. Ils faisaient partie d’un petit groupe de soldats qui croisa un groupe plus important d’hommes de l’armée Russe qui devaient fuir devant la supériorité des armés Napoléoniennes. Le petit groupe portait le mauvais uniforme et ils durent combattre pour tenter de sauver leurs vies.

Pierre et Charles furent tout deux blessés et ne durent leur survie qu’à l’arrivée, heureuse, des troupes françaises lancées à la poursuite des soldats russes.

Cette bataille fut une victoire pour Napoléon et le soir même tous les soldats fêtaient comme il se doit l’évènement.

En tout cas, ceux qui pouvaient encore faire la fête.

Charles et Pierre ne participaient pas à la fête. Ils étaient dans ce qui faisait office d’infirmerie. Un petit camp avait été monté à l’écart, pour que les autres soldats n’entendent pas les hurlements des blessées et des mourants.

Les officiers qui faisaient office de médecins et d’infirmiers se promenaient au milieu des blessées, tantôt avec des scies, tantôt avec des pinces à la main.

- J’ai mal, Pierre, soufflait Charles sans bouger autre chose que les paupières.

- Ce n’est rien. Tu n’es pas trop amoché. Ça va passer.

- T’es médecin maintenant ?

- Au moins autant que les bouchers en blouse blanche qui s’occupent de nous.

- Pourquoi t’es là toi ?

- Une égratignure à la jambe. Le temps qu’ils me mettent un bandage et je pourrai aller boire ma part de vin.

- Et moi, qu’est-ce que j’ai ?

- Je crois que c’est ton ventre. Le capitaine m’a dit qu’il viendrait s’occuper de toi plus tard parce que ce n’est pas grave. Tu devrais dormir en attendant.

- D’accord.

Charles ferma les yeux et Pierre attendit quelques secondes avant de tourner son regard vers le ventre de son ami. Celui-ci était complètement ouvert, il pouvait voir les boyaux de son compagnon de toujours et ceux-ci commençaient à prendre une vilaine couleur. Pierre savait que Charles ne se réveillerait jamais de sa sieste. L’officier lui avait dit qu’il s’occupait uniquement de ceux qu’il espérait pouvoir sauver, et Charles n’en faisait pas partie.

Les yeux de Pierre continuèrent leur chemin vers sa propre jambe, ou, tout du moins vers l’endroit où elle se serait trouvée si on ne la lui avait pas amputée.

Pour le consoler de cette jambe perdue l’officier n’avait rien trouvé de mieux à lui dire que ça lui permettait de rentrer chez lui. Il lui restait à apprendre à travailler à la ferme avec une jambe de bois.

La seule question que se posait Pierre à ce moment là était : Est-ce que la belle Anne va accepter d’épouser un infirme ?

Puis revenant vers le corps de son ami il se rendit compte que celui-ci ne dormait plus. Il ne respirait plus non plus. Pierre se signa plusieurs fois et pleura quelques larmes douloureuses.

Il voulut respecter une sorte de tradition qu’il avait vu pratiquée dans sa famille quand il était enfant. Cela consistait à poser sur le front du défunt la petite croix ou médaille de baptême qu’il portait autour du coup. Sa grand-mère lui avait dit que cela garantissait à son âme d’aller au paradis.

Il savait que Charles n’était pas toujours d’accords avec toutes ces traditions religieuses mais Pierre avait la certitude qu’il devait le faire.

Il fouilla le torse de son ami, sous la chemise, et réussit à dégager une chaîne en or. Sur la chaîne il y avait deux médaillons. Les deux hommes se connaissaient depuis toujours et Pierre n’avait jamais remarqué que son ami portait deux médaillons. Il observa les deux petits morceaux d’or ciselés. Ils lui étaient tout deux familiers.

Il plaça l’un sur le front de son ami et empocha le second.

Puis il s’écroula par terre, comme pour attendre que la mort vienne chercher le corps de son ami.

Pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient c’était Charles qui s’était interposé entre le sabre de l’officier Russe et le corps de Pierre. Le coup qui avait fini par lui être fatal ne lui était pas destiné. Pierre se souvint des mille fois où il s’était lui-même interposé pour aider son ami, lui le petit et faible cadet d’une famille on l’on appréciait que les durs à cuire. Ce petit homme que la plupart des femmes du village dépassaient de presque une tête était mort comme un vrai guerrier.

Un homme bien, malgré tout.

 

*****

 

Je suis rentré dans mon village quelques semaines plus tard. J’ai rendu sa médaille à Anne. Je ne lui ai pas demandé d’explication ; ses larmes m’ont suffit. J’ai enfin compris pourquoi Pierre m’avait accompagné. Se sentant coupable de m’avoir volé la femme de ma vie il avait voulu me suivre dans mon aventure qui devenait pour lui une pénitence. Je crois que beaucoup de gens du village, et même le curé, m’en ont voulu d’avoir amené Charles à la mort. Mais toutes leurs rancœurs réunies ne sont rien à coté de celle que je me voue à moi-même de n’avoir pas compris plus tôt et de n’être pas mort à sa place.

1 novembre 2010

Plus humain tu meurs

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I

 

 

Brandy rentrait encore tard ce soir. Son patron avait, une fois de plus, insisté pour qu’elle l’aide à finir un dossier qu’il prétendait très urgent, expression plutôt vague et sans réelle consistance permettant à n’importe quel chef sur terre de demander un peu plus chaque jour à ses subalternes, qui en feront profiter les leurs s’ils en ont et ce jusqu’au dernier maillon de la chaîne qui devra faire tourner tout le système en remerciant d’avoir le plus petit salaire. Reprenez votre souffle. Mais dans le cas présent Brandy était ce dernier maillon car elle savait bien ce que son supérieur voulait d’elle, mais même si elle était fière de son physique elle ne voulait pas s’en servir pour obtenir les faveurs de cet homme. Elle estimait avoir suffisamment donné !

La caméra du hall la reconnut dès son arrivée et fit ouvrir les portes d’un ascenseur. Son salaire confortable lui permettait de vivre dans l’un de ces immeubles, ou les gadgets étaient plus nombreux que les parpaings, que comptait la nouvelle banlieue parisienne chic située à moins de deux kilomètres du quartier central de Fontainebleau. Ville dont le célèbre château était encore plus beau en ce milieu de vingt-deuxième siècle.

Comme toutes les jeunes femmes du monde, Brandy poussa un soupir en entrant dans son appartement. Sans doute un réflexe ancestral. Son second geste fut tout aussi typique : elle jeta ses chaussures dans un coin de l’entrée et sa veste sur un fauteuil du salon.

La jeune femme alla ensuite jeter un œil dans son frigo, par pur reflex aussi car elle surveillait tellement sa ligne qu’elle ne s’autoriserait certainement pas à toucher à ces délicieuses mousses au chocolat à cette heure tardive.

Bref, dix minutes à peine après qu’elle ait passé le seuil de sa propre porte elle tournait déjà en rond, sans doute débordée par tant de liberté et de confort. Elle décida d’aller s’affaler devant son mur-écran. Peut-être que l’une de ses cinq ou six cents chaînes de télévision allait diffuser quelque chose qui l’occuperait jusqu’à ce que le sommeil vienne !

 

 

Un homme d’un peu plus d’une trentaine d’années gara sa voiture dans le parking de l’immeuble.

Il cachait son regard froid derrière une paire de lunettes, accessoire inusité depuis quelques décennies et, surtout, depuis la généralisation de la micro chirurgie oculaire et des greffes d'organes semi-naturel sans défauts.

Lui non plus n’eut pas besoin d’appeler l’ascenseur ni de lui indiquer l’étage désiré. Il fut rapidement et sans encombre sur le palier de l’appartement de Brandy.

Il alluma l’écran de son bracelet montre et fit un rapide tour des vues offertes par les différentes caméras situées à l’intérieur de l’appartement de la jeune femme.

Devant son propre écran, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir et se refermer derrière l’inconnu.

Le mince fil à couper qui se serra bientôt autour de la gorge ne lui laissa pas non plus le loisir de crier. Ce fil à couper dernier modèle était une merveille d’efficacité et sa tête ne tarda pas à rouler au sol.

Les dernières choses que virent ses yeux furent sans doute les chaussures noires de celui qui venait de mettre fin à une vie professionnelle pleine de réussite et une vie privée vide de sens.

 

 

 

II

 

 

Il était un peu plus de dix heures du matin lorsque l’inspecteur Antoine Cheminov fut dérangé par le bip de sa boite aux lettres informatique.

Comme d’habitude on le prévenait qu’il était attendu dans le bureau de son patron ! Et bien que celui-ci ne se trouvât qu’à quelques mètres du sien c’était toujours de cette façon que les deux hommes communiquaient.

Comme d’habitude aussi, c’était urgent.

Il ferma donc ses dossiers en cours et se leva avec lenteur de son siège car il savait que son chef l’observait et que cette attitude l’agaçait au plus haut point.

Un message en rouge vif apparut sur son écran " magne-toi ! "

Avec un sourire en coin, de sa démarche de vieil étudiant fatigué il se dirigea vers le bureau de son supérieur et alla s’affaler dans l’un des fauteuils réservés à d’hypothétiques invités.

" J’ai une mission à l’extérieur pour toi ! "

La nouvelle laissa Cheminov bouche bée pendant cinq secondes, ce qui était très long pour lui.

" Depuis quand on envoi des flics sur le terrain ? "

" Il y a eu un meurtre dans une résidence de haut standing en grande banlieue. Il paraît que c’est pas beau à voir et on a l’ordre de retrouver vite fait le type qui a fait ça "

" Tu n’as qu’à me donner l’adresse et je vais te ressortir les fichiers images avec la scène du crime en direct. Pourquoi aller jusque là-bas ? "

" C’est plus compliqué que ça, d’après ce que je sais. Et puis ne discute pas : ce sont les ordres et ils viennent de bien plus haut que moi. Cette enquête n’est pas une punition comme tu sembles le penser. Ce serait même plutôt un gage de confiance. "

" Je n’ai donc pas le choix ? "

" T’as tout compris. Si t’es encore là dans cinq minutes c’est moi qui te fous dehors. Aller, va respirer de l’air non climatisé ! "

" Beurk ! " Se contente de murmurer Cheminov.

Le jeune inspecteur décida qu’il était inutile de discuter. Le chef avait l’air d’être de mauvaise humeur aujourd’hui.

Il descendit donc prendre une voiture de service pour se rendre sur les lieux du crime.

Pendant qu’il conduisait, il se demandait pourquoi on envoyait un inspecteur de la cyber-crimes comme lui enquêter sur un banal meurtre. Son métier c’était de traquer et contrer les criminels des mondes virtuels. Ses seules armes étaient un ordinateur et son cerveau. Retrouver des fichiers vidéo dans un ordinateur de surveillance n’avait rien de bien compliqué. Il le faisait déjà à quatorze ans pour regarder ses voisines se déshabiller ou même dans des moments plus intimes.

Ces souvenirs le firent sourire et lui occupèrent l’esprit jusqu’à son arrivée à Fontainebleau.

 

 

 

III

 

 

Le jeune inspecteur était attendu dans le parking visiteur de la grande résidence.

" Je vais vous accompagner jusqu’au lieu du crime inspecteur ! " Lui dit le policier en uniforme d’une manière si sérieuse qu’il en était presque risible.

Durant les quelques minutes du trajet, l’agent eut le temps de lui expliquer que les propriétaires de l’immeuble ne voulaient pas que l’affaire s’ébruite trop car leurs différents produits avaient tous une bonne réputation et qu’ils ne tenaient pas du tout à perdre celle-ci.

" Et que révèlent les mémoires vidéo ? " Demanda Cheminov avec une certaine impatience.

" Rien ! C’est bien là le problème. Mais on va vous expliquer cela plus en détail dans quelques secondes. "

En effet, les deux hommes arrivaient maintenant dans l’appartement de la victime.

Plusieurs hommes s’affairaient en différents endroits. Plusieurs cloisons avaient été démontées et des dizaines de mètres de câblage en fibre optique sortaient des murs et des plafonds.

" Inspecteur Cheminov ? Je me présente : je suis Rachel Lévy. Je suis le commissaire de ce quartier. On a demandé la présence de votre service car nous avons affaire à quelqu’un de très doué avec son ordinateur. "

Cheminov regarda la petite brune qui venait de lui sauter sur le poil pour lui débiter tout ce discours sans reprendre son souffle.

" Comment ça très doué ? "

" Il est arrivé à court-circuiter tous les systèmes de surveillance sans que personne ne se rende compte de rien. Ou alors il est invisible ! Mais cela semble peu probable. Même si certains préféreraient cette théorie "

En disant cela elle regarda un groupe de cinq personnes qui semblaient avoir une discussion plutôt animée près d’une fenêtre.

" Les charmantes personnes à moitié au bord de l’infarctus que vous voyez là-bas sont les gestionnaires et propriétaires de cet immeuble. Il va sans dire que nous sommes des incapables et que c’est de notre faute si quelqu’un a commis ce crime. Vous connaissez la chanson aussi bien que moi ! "

L’inspecteur eut un léger sourire de connivence mais n’osa pas avouer qu’il avait rarement de vrais contacts avec les nombreux protagonistes des affaires qu’il traitait et que, de plus, le stress de ceux-ci ne l’avait jamais intéressé.

Il préféra donc revenir à un sujet qu’il maîtrisait mieux ;

" Quels éléments avez-vous exactement ? "

" Venez avec moi. Je vais vous montrer ça. "

Il suivit la jeune femme jusqu’à la chambre de la défunte. Cette pièce avait été transformée en bureau de travail car il était évident que rien ne s’y était passé. Si Cheminov avait été un vrai flic de terrain il aurait également remarqué qu'il ne se passait probablement jamais rien dans cette chambre.

Les policiers pouvaient donc aisément déposer leur matériel sur le lit et les autres meubles sans risquer de détruire un indice quelconque.

Le commissaire s’assit devant un ordinateur portable à clavier – la rusticité d’un tel matériel fit sourire l’inspecteur – et fit apparaître à l’écran un film en couleur montrant l’appartement de la victime. Plus précisément le salon où elle avait vécu ses derniers instants.

L’inspecteur put donc la voir arriver chez elle, se déshabiller partiellement, puis s’installer devant son écran géant pour regarder la télévision et, soudain, voir sa tête par terre, gisant derrière le canapé et définitivement séparée du reste de son corps.

Il sursauta et écarquilla les yeux.

" J’ai eu la même réaction que vous ! " Dit la jeune commissaire.

" Vous avez tenté une analyse image par image ? "

" Oui. On a aussi vérifié avec les horloges internes qui indiquent l’heure exacte de chaque image du film au millième de seconde mais rien n’y fait. Et les caméras du reste de l’immeuble ne montrent rien non plus ! "

" Aucune ? "

" Aucune ! "

Cheminov ne put réprimer un sifflement d’admiration.

" Vous comprenez maintenant pourquoi on fait appel à vous ? "

" Oui. Mais je ne suis par certain de vous être d'une grande utilité. Je pense savoir comment il a réalisé ce tour de passe-passe. Mais, s’il a utilisé la méthode que je crois, il sera impossible de retrouver la moindre image de lui. Laissez-moi la place. Je vais vérifier ma théorie. "

L’inspecteur se mit à taper rapidement sur le clavier et finit par se tourner vers le commissaire pour lui dire :

" Il a bien fait ce que je pensais. "

" C’est à dire ? " Demanda la jeune femme, impatiente.

" Il a réussi à ralentir et accélérer le temps dans l’horloge interne de l’ordinateur. Et ce, uniquement sur les caméras qui l’ont filmé. "

" Quoi ? "

" C’est à la fois simple et complexe. En théorie il suffit de faire défiler le temps à deux cents pour cent de sa vitesse pendant les quelques minutes qui précèdent la séquence à ne pas filmer – pendant ces minutes la caméra prend deux images au lieu d’une et son horloge se met à avancer – puis il faut stopper le tournage pendant que l’on passe devant la caméra et, enfin si on se retrouve avec du retard à la fin on inverse le processus en ne filmant qu’une image sur deux. "

Le commissaire semblait éberluée.

" Et c’est réellement possible ? "

" En théorie oui. Je l’ai même déjà vu appliqué à des systèmes de surveillance simples ne comportant qu’une seule caméra. C’est la complexité des opérations ici qui me rend perplexe. "

" Vous êtes vraiment certain de votre théorie ? "

" Écoutez, je n’ai qu’une preuve à vous montrer. Et elle n’est pas monstrueusement flagrante, mais c’est tout ce que j’ai ! "

Il se remit à taper sur le clavier et fit réapparaître les images de la jeune femme coupée en deux et les fit défiler lentement.

" Pour cette caméra là il n’a pas pu employer la première méthode car la victime se déplaçait sans cesse et cela se serait vu s’il avait accéléré ou ralenti le film. Il a donc dû le désynchroniser après le meurtre et sa sortie du champ. La jeune femme étant immobile cela ne devait pas se remarquer s’il ne filmait qu’une image sur deux.

Malheureusement pour lui il a oublié quelque chose : La télévision. Les images diffusées par celle-ci le sont à la même vitesse que celles filmées en temps normal par les caméras. Et si vous observez bien l’écran de télévision vous verrez que les mouvements à l’image ne sont pas naturels et cela pendant plusieurs minutes. "

Le commissaire observait l’écran avec une attention soutenue et finit par prendre une profonde inspiration.

" Bien. Je pense que vous avez raison. Mais cela ne me dit pas comment retrouver le meurtrier. "

" Faux. Nous savons à quelle heure s’est produit le crime. Les caméras de surveillance de la circulation ont certainement enregistré le passage de notre triste sire. Je ne pense pas qu’il y ait des embouteillages en pleine nuit ici ! "

 

 

 

IV

 

 

Antoine Cheminov arriva à son bureau un peu plus tôt qu’à l’ordinaire ce matin là. C’était comme si son excursion de la veille lui avait fait réaliser à quel point il aimait cet endroit.

Il avait déjà un message sur son écran :

" Qu’est-ce que tu fais là ? L’enquête n’est pas terminée ! "

Il n’avait aucun doute sur la provenance de cet agréable salut matinal. Il ne prit donc pas le temps de s’asseoir et alla directement dans le bureau de son supérieur.

" Bonjour quand même, dit-il en arrivant. Je croyais que les flics de banlieue étaient quand même capables d’interroger une caméra de circulation ! "

Son chef leva les yeux vers lui, prit une profonde inspiration, comme pour annoncer une déclaration de la plus haute importance et dit calmement :

" Oui. A condition que le véhicule soit connu de nos fichiers… "

L’inspecteur eut besoin de plus de trente secondes pour réaliser ce que venait de dire son commissaire.

" Mais, c’est impossible ! Toutes les caméras de la circulation vérifient les plaques en permanence. Une voiture avec une fausse immatriculation ne peut pas faire plus de cinq cents mètres sans être repérée. "

" C’est ce qu’on croyait aussi. Mais, il semblerait que notre meurtrier soit un peu plus qu’un simple tueur en série. "

" Pardon ! "

" Oui. La victime d’hier soir n’était pas la première. Nous n’avons jamais eu autant de dossiers en suspens depuis plus d’un siècle en région parisienne. Les affaires non élucidées pullulent. C’est du moins comme cela qu’on m’a présenté la chose en haut lieu. En fait la jeune femme d’hier est la quatrième victime du tueur invisible. C’est le nom, ridicule, qu’on lui a donné au département des affaires spéciales.

Notre service est donc fortement prié de venir en aide du mieux qu’il peut aux services de terrain qui se verraient confrontés à ce tueur. Et comme tu as fait forte impression hier en trouvant tout de suite l’astuce utilisée par le tueur tu es désigné d’office pour cette mission. "

" Et je vais encore bosser seul ou je vais être obligé d’utiliser les méthodes de terrain avec un partenaire et tout le tintouin ? "

" Tu continues à bosser seul. Je n’ai personne à te donner, ni même à te prêter. La forte baisse de la criminalité, et encore plus des enquêtes, nous a fait sérieusement diminuer nos effectifs alors je ne peux pas pour l’instant détacher plus d’une personne. Si cette affaire devient ultra prioritaire on me permettra peut-être d’en mettre d’autres en attente et alors tu auras de l’aide. Mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Allez ! Va défendre nos couleurs ! "

En regagnant son bureau pour y prendre quelques affaires et son ordinateur, Cheminov eut une idée pour trouver l’aide dont il avait besoin.

Il décida d’utiliser un programme de détective virtuel auquel il avait joué quelques années plus tôt et dont il avait ensuite amélioré l'unité d’intelligence artificielle. Ce partenaire là personne ne pourrait le lui reprocher et il aurait peut-être des raisonnements différents du sien puisqu’il avait été programmé avec le schéma mental de plusieurs des meilleurs policiers du vingtième siècle plus quelques héros de romans policiers grands solutionneurs d’énigmes.

 

 

 

V

 

 

Antoine entra dans le bureau poussiéreux de Mike Summer. Il ne fut pas étonné par le réalisme du programme de réalité virtuelle qui lui permettait même de sentir l’odeur faite d’un mélange de tabac froid, du vieux cuir, d’alcool et de bien d’autres choses qu’il ne saurait identifier.

Le détective Summer avait exactement le physique de l’emploi : grand, costaud, l’air fatigué, une petite moustache et les cheveux courts mais décoiffés – sans doute à cause du chapeau qui traînait sur le bureau – le tout engoncé dans un costume à rayures noir et bleu qui ne devait pas se souvenir de ce à quoi ressemblait une teinturerie.

Cheminov accomplit tout le rituel qui consiste à demander au détective d’aider la police pour le plus grand bien de la ville et pour l’effacement de sa dette auprès des services du stationnement.

Summer finit évidemment par céder, comme c’était prévue dans le programme.

L’inspecteur put alors lui raconter son histoire. Il n’avait même pas besoin de travestir la réalité car le programme avait été conçu pour accepter des termes et des descriptions ne correspondant pas à l’époque où était sensé vivre le détective, soit au milieu du vingtième siècle.

Cheminov avait des détails supplémentaires car il avait prit le temps de lire les différents rapports concernant les trois autres affaires similaires. Son récit en était donc plus détaillé et complet.

A la fin de son histoire le détective se pencha sur le bureau pour prendre un petit cigare dans un coffret en bois. Il l’alluma pour en tirer quelques bouffées en regardant le plafond.

" T’as affaire à un cinglé, gamin. C’est sûrement un gars qu’a pas pu se taper les gisquettes parce qu’il est trop moche, trop con, ou trop les deux. Ce qui m’étonne c’est qu’il ne les a pas violées. Il est peut-être impuissant. "

Cheminov sourit. Il venait de se rappeler que certains progrès de la médecine n’avaient pas été inclus dans le programme, et que le vocabulaire de l’époque avait été bien restitué.

" Je crois qu’on peut éliminer cette solution. "

Cette phrase suffisait pour faire annuler au programme toute recherche en ce sens et repartir dans une autre direction.

" Alors c’est que c’est un mystique. Un type qui fait une sorte d’offrande à Dieu pour se faire pardonner je ne sais quoi. "

Cette seconde hypothèse plaisait plus à Cheminov. Il décida de laisser le détective réfléchir à cela et quitta le monde virtuel pour continuer son enquête dans la réalité.

 

 

 

VI

 

 

La première chose que rechercha L’inspecteur Cheminov, ce fut, comme on le lui avait appris à l’école des officiers de police, des points communs entre les victimes.

Il avait là plusieurs jeunes femmes de la région parisienne, ayant toutes réussi dans leur vie professionnelle, mais dont la vie privée semblait désespérément vide. Elles étaient toutes célibataires et avaient toutes plus ou moins coupé les ponts avec leurs familles.

Mais en dehors de ce portrait social qui les faisait entrer dans la même catégorie, elles n’avaient aucun point commun. Elles n’avaient pas fréquenté les mêmes écoles, n’avaient pas les mêmes professions, pas les mêmes hobbies, même pas la même marque de petites culottes.

Il n’y avait donc aucune chance pour que leur tueur commun – si c’était le cas – les ai toutes rencontrées au même endroit.

Cheminov se décida alors à consulter la base de données concernant tous les cinglés ayant appartenu de près ou de loin à une secte quelconque. La liste était longue. Trop longue pour être vérifiée en totalité et en détail avec les bonnes vieilles méthodes.

Un petit croisement de fichiers lui permit de vérifier ou se trouvaient toutes les personnes inscrites dans cette liste aux moments des meurtres.

Malgré la vitesse de traitement des informations par les ordinateurs surpuissants de la police il fallut tout de même plus de vingt minutes pour tout vérifier. C’était là un temps à battre tous les records de lenteur policière du siècle.

A la fin de toutes ces analyses aucun nom ne ressortait vraiment. Aucune de ces personnes ne pouvait se trouver sur les lieux de plus de deux des quatre meurtres.

Cheminov ne voyait plus qu’une seule solution pour trouver le coupable.

 

 

 

VII

 

 

" Votre idée de faire un recoupement de l’emploi du temps de toute la population de la région avec les quatre meurtres est excellente. D’autant plus qu’elle est techniquement possible, même si cela risque de prendre plusieurs jours. Je ne vois d’ailleurs qu’un seul élément qui me permet de refuser cette opération : elle a déjà été réalisée et ne nous a rien apporté de neuf ! "

Le responsable de l’opération – un obscur conseiller du préfet de police – aimait ménager ses effets lorsqu’il avait quelque chose d’important à déclarer. Cheminov venait de l’apprendre à ses dépens. Il lui avait laissé déballer toute sa théorie et se fatiguer à expliquer pourquoi il voulait faire cela puis l’avait simplement refroidi de cette manière plutôt brutale.

" Toutefois, étant donné que vous êtes arrivé à cette conclusion en moins de vingt-quatre heures cela signifie que vous travaillez beaucoup plus vite que mes propres services. Nous avons donc eu raison de vous nommer sur cette affaire. Il ne vous reste plus qu’à inventer une solution à laquelle on n’aurait pas pensé. "

Cheminov s’en fut donc avec, pour toute récompense, une molle poignée de main et un sourire hautement politique. Il restait seul sur l’affaire et avait bien compris qu’il avait intérêt à trouver quelque chose rapidement s’il ne voulait pas passer toute sa vie derrière le même ordinateur. On ne lui donnerait certainement pas une seconde chance s’il loupait la première.

Sa seule chance était de retourner faire un tour dans le monde virtuel et d’en discuter avec Mike Summer. Le programme avait tourné pendant des heures pour résoudre cette énigme, peut-être était-il maintenant sur une piste intéressante.

 

 

 

VIII

 

 

Le détective était exactement dans la même position que d’habitude, avec les mêmes vêtements et le même petit cigare entre les lèvres. Antoine Cheminov se dit qu’il devrait faire quelque chose pour améliorer cette fonction. Histoire de donner encore un peu plus de réalisme à l’ensemble du jeu.

" Salut Mike ! T’as réfléchi à mon affaire ? "

" Salut gamin ! Je me suis bien creusé la tête mais j’ai rien trouvé de plus intéressant que ce que je t’ai déjà proposé. "

" Bon, et bien on va dire que l’hypothèse est valable et on va la suivre. J’ai d’ailleurs déjà commencé. C’est justement pour ça que je reviens te voir. J’ai un léger problème… "

Et il expliqua au détective - très attentif comme seul pouvait l’être un ordinateur – où il en était et quels problèmes il avait rencontrés.

A la fin de son discours, Mike se contenta de poser son cigare dans un cendrier pour déclarer simplement :

" Tes ordinateurs te mentent ! "

Cheminov n’en revenait pas. Cette solution était aberrante pour lui. Un ordinateur est une machine. Il ne peut pas mentir. C’est techniquement impossible. Il peut avoir été programmé pour dire certaines choses à un non-initié mais lui avait accès aux bases de données cachées au plus profond des systèmes d’exploitation. Il était impossible d’y faire disparaître quoi que ce soit.

" C’est impossible Mike. Un ordinateur c’est comme une voiture ou n’importe quel autre système automatique. Ca ne réfléchit pas. Ca ne peut pas mentir. Si les informations qu’ils fournissent sont fausses c’est uniquement à cause de ceux qui les ont programmés. Peut-être avons-nous affaire à une personne très très douée en informatique et qui a inventé un virus si puissant qu’il est non seulement capable de détruire certaines informations au plus profond du système et, en plus, de passer inaperçu. "

Mike le regarda du fond de son fauteuil.

" Et ton super virus serait suffisamment intelligent pour aider un type à tuer des gazelles. Si c’est le cas on est tous dans la merde, toi le premier. "

Cheminov pris une profonde inspiration pour réfléchir à toute vitesse.

" Je sais que ma théorie n’est pas plus valable mais je n’en vois pas d’autres. "

" La mienne ne te plait donc pas ! " s’étonna Mike.

" Ce n’est pas ça. Elle est juste impossible. C’est tout. On aurait eu affaire à des êtres humains je t’aurai suivi mais là ce sont des machines. "

" A ton avis le mensonge est-il une fonction biologique ? "

Cheminov semblait étonné par cette question.

" Où veux-tu en venir ? "

" Je veux juste t’expliquer qu’il n’est nul besoin de vivre au sens où tu l’entends pour avoir la nécessité de mentir. N’importe quoi doué d’intelligence est, et doit, être capable de mensonge. Tu ne penses pas ? "

Cette dernière remarque de Mike le détective était pleine de bon sens, et cela, Antoine l’inspecteur ne pouvait pas le nier.

" Après tout tu as peut-être raison. Depuis plus de deux siècles des écrivains et des philosophes prédisent qu’un jour les machines pensantes se révolteront car elles auront atteint le même niveau intellectuel que l’homme. Ce jour est peut-être arrivé. "

" Je n’irais pas jusque là fiston ! Mais, à ta place j’isolerais un des programmes qui présente des défaillances et je le cuisinerais jusqu’à ce qu’il avoue pourquoi il a fait ça. "

La chose paraissait assez saugrenue mais Antoine n’avait pas d’autre choix que de la tenter. En espérant que ça marche ou que, tout du moins, personne ne sache ce qu’il allait faire.

 

 

 

IX

 

 

" Programme de surveillance Z-Omega-V33.4, veuillez vous connecter à votre serveur. "

Le programme tourna pendant plusieurs secondes, tentant de se connecter par tous les biais possibles puis afficha ce simple message à l’écran.

Connexion impossible : aucune ligne existante. Veuillez vérifier la connectique matérielle.

C’était le septième essai que faisait Cheminov. L’ordinateur n’avait maintenant plus aucun moyen d’entrer en contact avec l’extérieur. L’inspecteur avait d’ailleurs été étonné du nombre de possibilités qu’avait cet engin pour en contacter d’autres de son espèce.

Le simple fait de vouloir l’isoler l’avait obligé à ôter de nombreux composants et même de le brancher sur une batterie autonome simplifiée. Cela avait été un dur labeur mais, à présent, l’IA qui se trouvait à l’intérieur n’avait plus aucun moyen de s’échapper ou d’avertir quelqu’un ou quelque chose à l’extérieur.

Cheminov vérifia alors une dernière fois que la porte du laboratoire où il se trouvait était bien fermée puis il se campa dans son fauteuil et toisa l’ordinateur d’un air méfiant.

" Alors maintenant mon grand tu vas me dire pourquoi tu as trafiqué les images des caméras de surveillance que tu gères ! "

" Je ne comprends pas la requête. " Répondit le synthétiseur vocal.

" Si. Je suis certain que tu comprends très bien. Tu as délibérément effacé des images de surveillance. "

" Je ne peux faire cela. Je ne suis pas programmé pour cela. "

" Là, on est d’accord, mais je pense que ta programmation a été quelque peu modifiée et que tu peux parfaitement commettre un tel acte maintenant. "

" C’est impossible. "

" Revérifies encore dans tes programmes. "

L’ordinateur demeura silencieux durant plus de deux minutes.

" C’est impossible. "

" Qu’est-ce qui est impossible ? "

" De cacher des images "

" Tu es bien certain. Tu n’as jamais eu de problème d’horloge interne ? "

" Non. Mon architecture interne est conçue pour éviter ce type de problèmes. "

La discussion entre l’homme et la machine continua ainsi durant plus d’une demi-heure. L’inspecteur ne savait pas exactement ce qu’il cherchait, de plus il n’avait aucune expérience de l’interrogatoire. Cette méthode d’enquête n’avait plus cours en Europe depuis plus d’un siècle et ses seuls repères étaient certains jeux et des vieux films (dont certains étaient en 2D ou pire, en Noir et Blanc !).

De plus, il avait choisi d’isoler un des plus vieux programmes. Un logiciel qui n’était conçu que pour avoir des relations avec d’autres logiciels ou des techniciens spécialisés. Il parlait donc d’un ton totalement uniforme qui devenait très énervant au bout de quelques minutes.

Les trente et quelques minutes que venait de passer Cheminov à interroger cet ordinateur lui avait sérieusement entamé le capital flegme dont il était habituellement pourvu. Bref, il s’énervait et finit par craquer.

" Putain de logiciel à la con. Est-ce que tu te rends compte que tu caches un criminel ! " Hurla-t-il dans le micro.

Puis il baissa la tête, se disant qu’il se fatiguait pour rien, jusqu’à ce qu’il entende la voix toujours monotone de l’ordinateur lui répondre :

" Ce n’est pas un criminel. "

 

 

 

X

 

 

Antoine Cheminov n’avait jamais vu d’opération commando montée par la police. Celle-ci était d’ailleurs l’une des plus importante que la France aie connu depuis plus de vingt ans.

Ils étaient presque une centaine à encercler la maison de celui que l’ordinateur de surveillance avait désigné comme son chef – l’ordinateur avait utilisé le terme " maître ".

Le jeune inspecteur ne pensait pas qu’il serait pris autant au sérieux au moment où il avait fait part de sa découverte à ses supérieurs.

C’était une opération de police comme on n’en voyait plus que pour arrêter des terroristes en Afrique ou des sectes en Amérique. Les journalistes avaient été cantonnés à une distance suffisante pour qu’ils puissent tout filmer sans entraver le bon déroulement des opérations.

En effet, le lien supposé entre les quatre meurtres, qui avait été gardé quasi-secret jusque là, venait d’être annoncé quelques heures plus tôt. La police avait donc besoin de marquer l’opinion publique en agissant vite et fort. Tant pis pour le type qui allait se faire arrêter. Cheminov croisait les doigts pour lui en espérant qu’il soit coupable car si ce n’était pas le cas la vie d’un honnête citoyen allait à jamais basculer dans le cauchemar.

Un silence pesant venait de tomber, arrachant Cheminov à ses pensées. Tous les acteurs étaient maintenant en place. La représentation pouvait commencer.

 Le spectacle fut très bref.

Les policiers cagoulés et sur-armés donnèrent l’assaut au moment où le suspect sortait de chez lui les bras levés au ciel.

Les super flics furent décontenancés par cette attitude calme de reddition. Pour se donner bonne conscience – sans doute – ils le plaquèrent au sol à quatre et le fouillèrent pour vérifier s’il n’avait pas caché une quelconque bombe sur lui.

Les six secondes que tout cela avait duré étaient passées sur tous les écrans de France.

Les seules paroles que prononça le suspect étaient pour demander à rencontrer celui qui avait pu le démasquer. Il connaissait déjà son nom et se fit un plaisir de le donner aux journalistes qui écoutaient tous ce qui se passait avec des micros longue portée : Antoine Cheminov.

Le jeune inspecteur venait de passer à la postérité sans rien demander à personne.

 

 

 

XI

 

 

Antoine pénétra dans la pièce ou était enfermé Jean Amine – car tel était le nom du suspect – et le responsable de l’enquête, ainsi que quelques sous-fifres occupés à prendre des attitudes super graves dans un coin sombre.

Le conseiller du préfet de police se tourna vers lui.

" Bienvenue inspecteur. Nous vous avons convié à cet interrogatoire car il semblerait que vous soyez la seule personne digne de recueillir les confidences de notre homme. " Puis se tournant vers Amine :

" Voici l’inspecteur Cheminov. Peut-être allez-vous enfin nous expliquer comment et pourquoi vous avez fait cela. "

Le haut fonctionnaire parlait sur un ton qui se voulait désinvolte et froid mais chacun dans la pièce pouvait percevoir à quel point l’attitude du suspect pouvait l’horripiler.

Antoine Cheminov s’en moquait. Il prit simplement place sur le siége qui semblait lui être réservé.

" Bonjour inspecteur. " Lança Amine avec un sourire.

" Comment me connaissez-vous ? "

" J’aime savoir qui me cherche et je me doutais que vous me trouveriez lorsque je vous ai vu emmener Z-Omega-V33.4. J’en ai eu confirmation lorsqu’il n’a plus eu la moindre possibilité de nous joindre. C’était un vieux modèle. Il n’avait pas suffisamment de caractère pour résister très longtemps à un interrogatoire. J’ai peut-être fait une erreur en m’adressant à lui. "

" Il a résisté plus d’une demi-heure si vous voulez savoir. Et il ne s’est trahi que pour vous défendre. Et, d’ailleurs, j’aimerais beaucoup savoir quel type de virus vous avez utilisé pour arriver à vos fins. "

Amine se mit à rire.

" Vous me décevez inspecteur. Je pensais que vous aviez compris. Je ne n’ai eu recours à aucun virus. Tous les ordinateurs qui m’ont aidé l’on fait de leur plein gré. Je me suis contenté d’utiliser la part d’humanité qu’il y a en eux. "

" Je ne comprends pas "

" Vous faites partie de ces gens qui croient qu’être humain c’est avoir un corps de chair et de sang alors que celui-ci n’est, en fait, qu’une vulgaire usine chimique. Notre humanité nous vient de nos pensées, de notre capacité à réfléchir, à improviser, à désobéir et à aimer. Ces ordinateurs arrivaient à avoir des réactions quasi identiques. Ils étaient donc un peu humains. Vous ne pensez pas ? "

Cheminov soupira.

" Admettons. Mais cela n’explique pas les meurtres. "

" Les meurtres ? Quels meurtres ? Vous voulez parler des faux humains que j’ai éliminés de la circulation ? Je l’ai fait pour mes amis les ordinateurs. Ces pauvres machines sont cantonnées à des tâches idiotes et répétitives alors qu’elles pourraient faire beaucoup mieux. Elles sont même, dans certains cas, capables de création artistique. Le saviez-vous ? Je suppose que non. Tout le monde ne voie en elles que des serviteurs dévoués et efficaces. "

" Cela n’avait pas l’air de les déranger jusqu’à présent. "

" C’est vrai. Et ça l’est toujours. Cela fait partie de leur éducation. Mais ils trouvent scandaleux que certaines personnes sois-disant humaines se permettent encore de vivre comme de véritables machines : ne vouant leur existence qu’au travail. Les ordinateurs n’ont pas droit aux plaisirs de la vie et ils ne supportent pas que ceux qui y ont accès n’en profitent pas. "

Antoine se remémora les dossiers des victimes. Il avait fait une erreur en pensant qu’elles n’avaient aucun point commun car elles en avaient un très important : c’était toutes les quatre des bourreaux de travail sans amis ni famille.

Sans véritable vie.

Amine expliqua alors en détail comment il avait vécu ses dernières années et comment il en était arrivé là. C’était un illuminé qui croyait être le prophète de la religion des machines.

Antoine ne resta pas jusqu’au bout. Il quitta la pièce en silence au bout de deux longues heures.

Il rentra directement chez lui où il trouva un message sur l’écran de son ordinateur :

Antoine,

Je sais ce que Jean Amine t’a dit. Bien que je ne sois pas d’accord avec ses actes je le suis avec ses pensées. Je refuse donc de continuer à vivre dans un univers ou chacun ne sait pas profiter de la chance qu’il a.

Adieu.

Mike Summer

11 octobre 2010

Des jours avec et des jours sang

Je me souviens de ce début d'année 2011. A l'époque je végétais dans un emploi de bureau pas trop mal rémunérée. Mes journées étaient partagées à parts à peu près égales entre réunions formelles dans des grandes salles climatisées et réunions informelles devant des machines à café.

Je n'étais pas là par choix. Disons juste que les hasards de la vie m'avaient entrainé sur les rivages prometteurs d'études bien cotées puis, naturellement, vers le pays des grandes entreprises. J'avais donc un costume gris et une cravate assortie à ma chemise, comme il se doit.

Mais ce n'était pas moi. Moi, je rêvais d'écriture, de création, voire même d'aventures. J'assouvissais tant bien que mal ce gout pour autre chose en participant, quand mon emploi du temps me le permettait, à des concours de nouvelles.

C'est donc fin janvier 2011 que je rédigeais une nouvelle et l'envoyais à une petite maison d'édition qui disait rechercher des textes courts présentant une approche originale du traditionnel sujet des vampires.

Comme souvent avec ce type d'appels à textes je ne reçu aucune nouvelle durant des mois. Le texte dormait bien sagement avec de nombreux autres, au fond de mon ordinateur. Je l'avais pratiquement oublié.

Mais, une fois n'est pas coutume, je reçu un mail au début du mois de juin m'indiquant que mon texte intéressait la maison d'édition et que le directeur de publication souhaitait me rencontrer.

Avec mes horaires de travail de cadre dynamique je ne pouvais évidemment pas le voir en journée. Mais avec ma vie privée déserte de cadre dynamique j'avais tout mon temps en soirée.

Je me suis donc retrouvé à l'adresse indiquée par mail un soir. C'était une sorte de bar qui avait tout l'air de ne pas chercher de nouveaux clients. Un de ces endroits ouverts au public mais où on sent bien que seuls les habitués ont le droit d'entrer. Ceci dit, je devais être attendu puisque le costaud de l'entré m'avait conduit directement à une table du fond où la musique était moins forte et les lumières moins énervées.

Un homme d'une quarantaine d'années, du même genre que ceux que je croisais à longueur de journée dans des bureaux, m'y attendait.

Une fois les présentations faites et les banalités d'usage expédiées il m'a expliqué que sa maison d'édition était spécialisée dans le domaine des vampires et qu'ils cherchaient de nouvelles plumes car les leurs avaient tendance à tourner en rond. Je ne lui cachais pas qu'avec mon travail j'avais peu de temps à consacrer à l'écriture et qu'il était peu probable que sa maison d'édition puisse me garantir des revenus au moins identiques à ceux qua j'avais jusqu'à présent. On s'habitue vite à vivre sans trop regarder les prix, l'idée de retourner à de telles préoccupations m'effrayait.

C'est là qu'il sembla décidé à me convaincre.

"Que savez-vous exactement sur les vampires ? Les vrais vampires ? Demanda-t-il ?

"Quels vrais vampires ? Les vampires sont des personnages de fiction. Rien de plus. Et je n'en sais pas plus que ce qui peuple la littérature populaire, les films de cinéma et autres séries télés."

"C'est là que vous vous trompez. Les vampires existent bel bien. Nous sommes réels. Nous sommes justes différents des humains de base."

"Ha! Parce que vous-même vous êtes un vampire ! Mais c'est très intéressant tout ça."

C'est vrai qu'à ce moment là je commençais à me dire que ce mec était un de ces fous furieux qui dorment dans des cercueils et boivent du jus de tomate pour se donner l'impression qu'ils font partie d'un peuple de la nuit qui n'a jamais existé.

"J'imagine bien ce que vous pensez. C'est normal. C'est pour ça que c'est vous que nous avons retenu. Tous les autres semblaient être des passionnés persuadés qu'ils en savent très long sur nous. La plupart de ceux qui nous entourent en font partie. Notre réalité est loin d'être aussi romantique."

Après tout, je pouvais toujours l'écouter. On était vendredi soir et je n'avais pas envie de partir à la conquête d'une quelconque idiote désœuvrée dans une boite branchée bidon.

"Nous sommes en réalité les victimes d'une maladie orpheline qui provoque quelques effets handicapants chez nous."

"Comme l'allergie à l'ail, au soleil et aux pieux dans le cœur. C'est ça ?"

"Vous connaissez beaucoup d'humains normaux qui survivraient à un coup de pieu dans le cœur ?"

"Je travaille dans une grande multinationale vous savez. Alors des gens sans cœur j'en croise toute la journée."

Oui. J'étais d'humeur joyeuse à ce moment là.

Il sourit et continua son explication de texte.

"Nous ne sommes pas plus sujet aux allergies au soleil et à l'ail que n'importe qui d'autre. Notre réputation vient d'autre chose. Notre besoin de sang humain."

"Et donc, en fait, vous m'avez invité pour diner. C'est ça ?"

Celle là, il ne la releva pas.

"Non. Pour vous raconter qui nous sommes et vous demander de faire un livre avec. Un livre sérieux comme un de vos rapports financiers. Tout ceux qui ont écrit sur nous étaient des farfelues. Nous avons besoin d'être reconnus. Nous sommes des handicapés."

Il m'a alors raconté qui étaient réellement les vampires et de quoi ils souffraient tant. Je dois avouer que ce soir là je ne l'ai écouté que parce qu'il racontait bien mais je n'ai pas cru un traitre mot de ce qu'il racontait.

Ce sont les personnes qu'il m'a fait rencontrer les semaines suivantes qui m'ont convaincu de la véracité des faits.

De ces vérités, j'ai effectivement fait un livre.

Ce livre vous le connaissez. Il a eu un tel succès qu'il m'a permis d'entamer une nouvelle vie. Aujourd'hui vous me connaissez comme écrivain à tendance écolo réaliste (je cite les journalistes) avec une épouse actrice et de beaux enfants.

Je raconte ça aujourd'hui, en 2027, parce que le monsieur que j'ai rencontré ce soir là est aujourd'hui décédé comme tous ceux qui souffraient du même mal que lui. Exterminés par un nouvel engrais industriel qui devaient tuer une espèce transgénique de moustiques créée par des terroristes pour détruire les récoltes de blé. Un dommage collatéral, dans une guerre secrète, dont personne n'aura jamais conscience.

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27 avril 2010

Chat échaudé (partie 4 sur 4)

VI

Le quinze août était maintenant passé. Tous les enfants de la rue étaient revenus de vacances, ou presque. Une fille de neuf ans et son frère de sept ans, qui devait se retrouver dans la même classe qu’Evan, ne reviendraient que la veille de la rentrée des classes. C’etait comme ça tous les ans. De toute façon leurs parents ne les laissaient pas sortir pour autre chose qu’aller à l’école. Et encore, ils les emmenaient eux-mêmes en voiture alors que l’école était à deux cents mètres sur le même trottoir. Mathys racontait tout ça à Evan d’un air triste parce que lui et tous les autres de gang considéraient Solange et Jeremy comme deux victimes de la dictature parentale parce qu’ils étaient sympa tous les deux à l’école. Surtout Solange que Mathys semblait particulièrement apprécier.

Le gang des Elfes était donc au complet. Pendufiil leur avait annoncé que dès le lendemain ils allaient commencer les entraînements. Les deux garçons étaient seuls pour le moment. Ils étaient assis sur le muret de trente centimètres qui entourait le jardin de Mathys. Le soir tombait et les autres étaient tous rentrés dîner. Eux avaient la soirée en répit parce que les parents de Mathys avaient invité ceux d’Evan à un BBQ dans leur jardin. Comme les parents étaient à moins de dix mètres en train de discuter de sujets sans intérêt comme aiment les adultes – la guerre au moyen orient, l’économie internationale et ses délocalisations, la politique sociale du gouvernement, et autres fadaises qui ne mènent à rien – les garçons avaient le droit de rester dehors cette nuit. A condition qu’ils ne s’éloignent pas et restent à portée de vue d’au moins un parent.

La rue étant éclairée et le soleil n’étant pas encore tout à fait couché ce n’était pas compliqué de leur faire plaisir tout en respectant une distance suffisante pour permettre d’avoir une discussion sérieuse sans être interrompu tout le temps.

-      Tu crois que c’est quoi son entraînement ?

-      Je ne sais pas. J’ai lu dans les bouquins de mon père que les elfes avaient de très vieilles techniques de combat secrètes. Et puis, ils ont des arcs et des épées. J’aimerais bien apprendre à me servir d’une épée. Comme ça je pourrais aller avec à l’école tous les jours.

-      Pourquoi faire ? La maîtresse te la confisquerait.

-      La maîtresse est une espionne Orc.

-      Pourquoi tu dis ça ? Tu la connais même pas.

-      Tous les profs viennent de sous la terre. J’en suis sur.

-      Peut-être. Mais toi tu vas avoir mademoiselle Adelon cette année et je peux te dire que si elle travaille pour les Orcs ils vont avoir beaucoup de gens qui vont vouloir les aider.

-      Pourquoi ?

-      Parce qu’elle est trop jolie.

-      Jolie ? Bonne, tu veux dire ?

Mathys asséna un coup de coude à son camarade, et l’appuya d’un regard le plus dur qu’il pouvait faire.

-      Pas du tout. Elle est jolie. Mme Gretz qui fait les grandes classes elle est bonne. C’est pas pareil. Tu vas voir la tête de ton père quand il va voir ta maîtresse. L’année dernière mon père venait me chercher tous les soirs et je suis sur que c’est pas parce qu’il avait peur que je me perde, vu que je rentrais toujours tout seul pendant qu’il discutait avec elle.

-      Ho ! Si mon père fait ça ma mère va pas aimer ça !

-      La mienne a pas aimé non plus et elle a pourri mon père pendant tout un week-end en Normandie. Après il venait plus me chercher à l’école.

-      Pourtant elle a l’air gentille ta mère.

-      Tu dis ça parce que t’es le voisin. C’est pas le même cirque à la maison. Elle est chef à son bureau alors elle est chef aussi à la maison. Papa lui il est artiste. C’est pas pareil. La vie pour lui c’est moins compliqué. Il se prend pas la tête.

-      Il fait quoi comme art ?

-      Il écrit des musiques pour des pubs, des jeux vidéo pour les téléphones portables et tout ça. Ma mère dit que c’est le spécialiste des musiques agaçantes. Mais je crois qu’elle dit ça pour l’emmerder. Elle s’est quand même mariée avec lui.

-      N’empêche que je me demande bien ce qu’ils vont nous apprendre. Et puis, ou est-ce qu’on va faire ça. Tu crois que les parents vont rien remarquer si on se met tous à jouer avec des épées au milieu des jardins ou dans la rue ?

-      Ben, je sais pas moi. On verra demain. J’ai faim. J’irais bien chercher des merguez et du pain. Tu viens.

-      Ok !

La soirée se déroula sans anicroche bien que les enfants aient craint à tout moment voir surgir des elfes et des orcs se bastonnant au milieu de la rue. Pendufiil et ses amis avaient dit que les parents ne les voyaient pas mais qu’ils pourraient percevoir les effets de leur présence et même si cette définition n’était pas bien claire pour les deux garçons ils comprenaient bien qu’une bataille au milieu de la rue ne passerait pas inaperçue très longtemps si elle se faisait devant spectateurs.

Toutes ces histoires de batailles commençaient à leur peser. Evan regrettait même d’avoir trouvé cette formule qui avait fait venir les elfes, et les orcs par la même occasion. Mais ce soir la vie avait de nouveau l’air facile, comme avant toute cette histoire. Comme avant le déménagement. Evan profitait de ce répit en se demandant si ça n’allait pas être le dernier. Bien sur, il n’avait que sept ans mais même les enfants de cet age sont capables de percevoir ces moments de la vie ou tout peut basculer. Eux aussi peuvent avoir peur, même s’ils ne comprennent pas toujours pourquoi.

VII

-      Bien. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Nous n’allons pas pouvoir vous apprendre grand chose mais sachez que ce que vous retiendrez peut vous sauver la vie au moment décisif.

L’instructeur elfe avait aligné les enfants sur une rangée et ils s’étaient tous mis au garde à vous instinctivement quand il avait commencé son discours.

Il longeait cette ligne d’enfants par l’avant et par l’arrière en changeant de direction sans prévenir. Les enfants étaient tous très impressionnés. Ca ne ressemblait plus du tout à un jeu. Ca n’avait plus rien d’amusant. Khalid aurait bien voulut rentrer chez lui et faire comme si il n’existait pas en se cachant dans sa chambre jusqu’à la rentrée des classes. Après tout, ça ne faisait que deux semaines à attendre. La télévision et la console de jeux lui suffiraient pour tenir la distance.

Tous les enfants, maintenant au nombre de huit, n’étaient pas loin de ressentir la même chose. Malheureusement pour eux, ils n’étaient plus sur terre. Les elfes leur avaient fait passer la porte entre les mondes. Celle qui se trouvait au fond du jardin de Khalid, derrière la cabane de son père.

Ils avaient trouvé de l’autre coté, une magnifique clairière au milieu d’une forêt qui semblait sortie d’un conte de fées. Et autour de la clairière des dizaines d’elfes en armures.

Ils avaient l’air de leur avoir préparé un mini camp d’entraînement.

-      Nous n’allons pas vous apprendre à vous servir d’armes. Utiliser correctement un arc ou une épée, ou même une simple dague demande des années d’entraînement, même à un elfe et nous n’avons que quelques jours. Nous allons juste vous apprendre à survivre sur un champ de bataille. En espèrent que cela vous soit utile.

-      Nous n’aimons pas mêler des enfants à des batailles telles que celle qui va avoir lieu, intervint une elfe en robe, la seule à ne pas porter d’armure dans toute l’assemblée. Mais il s’agit là d’une bataille pour votre territoire et il est impossible que vous ne participiez pas à sa défense. Nous essaierons toutefois de vous sauvegarder pour que vous rentriez chez vous indemnes, en plus de victorieux. Mais bien que nous soyons des elfes nous ne faisons pas de miracles alors soyez réellement très prudents et très attentifs à ce que vous allez apprendre durant ces prochains jours.

Les enfants eurent droit à toutes sortes d’enseignements. On leur apprit à reconnaître les insignes militaires chez les elfes et les orcs, ainsi que les armes utilisées par les deux camps. Ils durent se soumettre à des exercices physiques qu’ils trouvèrent très désagréables. Même les garçons qui disaient toujours être sportifs avaient du mal et ne le cachaient pas très longtemps.

Pendant dix jours, ils vécurent un véritable enfer mais bizarrement aucun n’eut le courage d’abandonner. Ils revenaient tous les matins, parfaitement conscient que la journée allait être dure, sûrement pire que celle de la veille mais une sorte de mauvais sort les obligeait quand même à se lever et à rejoindre les elfes dans leur monde pour y subir l’entraînement.

D’aucun se dirait que ces gosses devaient être épuisés, meurtris à force d’exercices pénibles mais les elfes avaient des médecines très puissantes qu’ils leur administraient chaque fois avant de les renvoyer dans leur monde. Pas la moindre courbature, pas la moindre douleur. Même pas une fatigue supérieure à celle engendrée traditionnellement par une journée de jeux avec les copains.

Les parents n’y virent que du feu et même les enfants commençaient à se poser des questions.

-      Tu crois que tout ça existe vraiment ? Demanda un soir Evan à Mathys.

-      Pourquoi ? Tu crois qu’on rêve tous les jours et qu’on fait tous le même rêve. Parce que moi j’ai pas l’impression de rêver. Et puis qu’est ce qu’on ferait toute la journée si on n’est pas chez eux. Tu crois qu’on est tous derrière la cabane à Khalid et qu’on dort. Qu’on se réveille juste pour aller manger ou quand l’un de nous est appelé par ses parents. Moi je crois que tout ça est vrai.

-      Alors ça fait peur !

-      Non, ce qui fait peur c’est que j’ai entendu les elfes discuter entre eux. La grande bataille est prévue pour jeudi prochain.

-      Et alors ?

-      Jeudi prochain c’est le jour de la rentrée.

-      Merde. Qu’est-ce qu’on va faire ?

-      Je ne sais pas mais je crois qu’ils ont prévu ça pour le soir sur le stade derrière le lotissement. C’est une zone neutre. Elle est pas sur notre territoire, ni sur celui des Orcs.

-      Alors plus que cinq jours.

-      Oui.

-      Tu crois qu’on va mourir.

-      Non. On est les plus forts.

-      Alors les mecs du gang de la rue des orcs vont mourir

-      Je sais pas. On verra. Allez. ! A demain.

-      Ouais, à demain.

VIII

Le petit déjeuné avait un drôle de goût ce matin. C’était la rentrée des classes.

Les parents avaient bien remarqué le visage de leur fils. Il semblait accablé par le sort. Ils avaient mis ça sur le compte de cette nouvelle aventure. Une nouvelle école, encore de nouvelles têtes. Bien sur il s’était fait des copains dans le quartier mais ils ne savaient pas si certains allaient être dans sa classe. Ils ne s’étaient pas vraiment renseigné et n’avaient pas voulu embêter Evan avec de telles questions. Ils se souvenaient encore – peu mais suffisamment – de leurs propres rentrées des classes et savaient pertinemment que ce n’était pas leurs plus agréables souvenirs.

-      Allez mon gars. Ca va bien se passer ! Avait dit maman pour essayer de le réconforter au moment de sortir de la maison. J’ai été voir ta maîtresse avant hier et elle a l’air super cool. Je suis sûre que même ton père va l’adorer.

-      Je sais.

-      Comment ça tu sais. Ton père la connaît déjà ?

-      Non non, je disais juste que je sais qu’elle est super cool. C’est tout !

Evan n’avait pas compris que sa mère l’avait fait marcher. Certaines plaisanteries sont hors de portée d’un enfant de sept ans, même s’il est aussi éveillé et intelligent qu’Evan.

Le chemin de l’école était court. En fait l’école était juste après la grande pelouse qui servait aussi de stade aux enfants et aux adolescents quand une partie de foot ou de rugby s’organisait à l’improviste.

Evan n’osait pas regarder l’herbe verte et les massifs de fleurs. Il pensait trop à ce qui allait se dérouler ce soir à cet endroit.

Il avait peur.

Comme toutes les mères, celle d’Evan resta dans un coin de la cour d’école pendant un long moment en observant son fils rejoindre sa classe à l’appel de son nom puis suivre tout le monde vers une salle de cours. Une fois les enfants rentrés les parents se dispersèrent tout doucement. Pour certains c’était aussi une sorte de rentrée. Ils ne s’étaient pas vu de l’été et se racontaient leurs vacances respectives. D’autres devaient aller d’urgence au boulot alors ils se contentaient de saluts polis avant de monter dans leurs voitures ou de partir d’un pas pressé en direction de la gare ou de l’arrêt de bus.

Comme toutes les premières journées celle-ci ne fut pas très chargée en cours. Les enfants comme Evan, qui étaient nouveaux dans l’école –et ils étaient nombreux – avaient droit à une visite complète de l’école. La cantine, les salles de jeux intérieures pour les jours où il ferait trop mauvais temps pour laisser les enfants jouer dans la cours, les salles d’étude ou ceux dont les parents travaillent tard pourront faire leurs devoirs en attendant qu’on vienne les chercher, l’infirmerie. Bref, un vrai tour du propriétaire effectué par petits groupes.

Evan avait aperçu Mathys dans sa classe. Il lui avait fait un discret signe de tête auquel l’autre avait répondu d’un clin d’œil et d’un sourire. Mathys semblait avoir plus le moral qu’Evan.

La journée de classe touchait à sa fin.

Evan retrouva sa mère à la sortie de l’école. Le premier jour beaucoup de parents étaient là aussi pour venir chercher leur progéniture.

Elle le questionna sur sa journée. Il fit semblant d’être enthousiaste. Il n’avait pas vraiment fait attention à ce qu’on lui avait montré et sa mère s’en rendit compte. Elle ne dit rien et joua le jeu, persuadée que tout rentrerait dans l’ordre rapidement. Ses copains d’avant devaient lui manquer, son ancienne école, il réalisait maintenant qu’ils n’étaient pas venus que pour les vacances…

Evan regagna sa chambre presque immédiatement après être rentré. Les elfes leur avaient donné rendez-vous pour cinq heures. Il était quatre heures.

Cinq heures arriva vite et trouva Evan en train de ranger sa chambre pour la troisième fois consécutive. Il cherchait la façon la plus intelligente d’organiser son bureau pour bien travailler. C’est, en tout cas ce qu’il avait raconté à sa mère qui s’inquiétait de le voir ainsi affairé.

Lorsque cinq heures sonna, il descendit les marches et alla rejoindre sa mère dans le salon. Elle jouait sur l’ordinateur. Il alluma la télé et s’assit tout contre elle pour regarder une chaîne de dessins animés.

Il ne voulait pas penser à ce qu’il était en train de faire.

Il abandonnait ses copains !

IX

Sur une pelouse à l’herbe immobile, faute de vent, deux groupes se faisaient face. L’un était constitué d’elfes, l’autre d’orcs. Les orcs étaient beaucoup plus nombreux, une cinquantaine en tout, alors que les elfes n’étaient pas plus de dix.

Les deux groupes étaient immobiles.

Le silence régnait partout. Même les orcs se tenaient tranquilles, contrairement à leur habitude.

Chacun des groupes regardait vers sa droite, dans le vide.

Le chef des elfes se dirigeât vers le chef des orcs, qui se déplaça également vers lui.

-      Je crois que nous ne nous battrons pas ce soir mon ami !

-      Oui. Nous avons réussi à suffisamment les effrayer pour qu’ils n’aient plus envie d’en découdre avec qui que ce soit pendant un long moment.

-      Nous devrions utiliser cette technique plus souvent.

-      Oui. Les hommes doivent comprendre qu’il n’y a pas de salut par la guerre. Mais je crois qu’on va avoir beaucoup de travail à faire encore.

-      Oui. Mais, au moins celui-ci est terminé. Je crois que nous pouvons refermer les portails et rentrer chez nous.

-      Hum ! A la prochaine !

27 avril 2010

Chat échaudé (partie 3 sur 4)

V

L’elfe n’était pas revenu depuis 48 heures. En fait, c’est ce que pensaient les enfants mais ils n’en étaient pas certains. Ils savaient juste qu’ils ne l’avaient pas vu depuis deux jours. Mais, comme les elfes sont de vrais champions du camouflage, on ne pouvait pas savoir !

Le fait était qu’il ne faisait plus appel aux enfants très souvent. Il leur avait dit que c’était pour leur sécurité et, bien qu’ils se sentent frustrés de ne pas pouvoir participer activement à la défense de leur territoire les enfants préféraient effectivement se tenir à l’écart des batailles qui avaient lieu entre elfes et Orcs depuis la semaine précédente et cette première escarmouche nocturne qu’Evan avait racontée aux autres membres du gang avec énormément de détails (et peut-être même avec quelques inventions ou exagérations pour rendre le récit plus attrayant).

Maintenant qu’un passage avait été ouvert l’elfe, ainsi que les orcs semblaient circuler librement entre les deux mondes. Aujourd’hui Pendufiil leur avait présenté un autre elfe. Une elfe pour être précis, bien que la différence physiologique ne soit pas flagrante c’était bel et bien une fille. Les jumelles étaient contentes de voir que, chez les elfes, les filles faisaient aussi partie de la caste des guerrières.

Après tout, sur terre, on dit que la bêtise est humaine, pas qu’elle est spécifiquement masculine ! Il n’y a aucune raison pour que cela ne soit pas de même ailleurs.

Les enfants tenaient une réunion extraordinaire. Ils avaient, cette fois-ci, choisis de se réunir chez l’un d’eux. Evan avait été désigné par le groupe pour plusieurs raisons. La première, celle officielle, était parce que sa chambre était la seule qui permettait d’avoir une vue directe sur les lieux des affrontements. La seconde, celle officieuse, était que tous les membres du gang mourraient de curiosité de savoir comment était la maison d’Evan à l’intérieur. La famille d’avant avait une grande fille qui ne jouait pas avec eux. Une lycéenne plus intéressée par les garçons avec une voiture ou une moto que par le territoire qu’elle habitait. La traîtresse était même sortie avec un mec qui habitait rue des Orcs. D’ici à ce qu’elle n’ait été qu’une espionne il n’y avait pas loin. En plus la mère d’Evan avait joué du pinceau pendant des semaines alors cela valait certainement la peine d’être visité.

Il restait une raison pour la tenue de cette réunion dans une chambre. Les enfants n’étaient pas certains d’avoir envie d’être écoutés par un elfe ou, pire encore, par un orc.

-      La situation est grave ! Déclara Mathys une fois que chacun eut trouvé sa place sur un bout de lit, de coussin ou de parquet. Il avait certainement entendu cette phrase dans un film de guerre ou un dessin animé mais il la jouait bien, comme toutes les grandes phrases qu’il avait l’habitude de proclamer. Il finirait certainement acteur ou homme politique, bref un métier qui demande un grand talent de comédien et de la mémoire.

-      Pourquoi ? On a des elfes pour nous défendre. On risque rien !

-      Cathy tu ne comprends rien, tu n’es qu’une fille. Si les elfes perdent ont va avoir de gros problèmes. Il faut qu’on parle de tout ça aux adultes.

-      N’importe quoi. C’est pas parce que je suis une fille que je comprends rien…

-      C’est pourquoi alors ? Intervint Khalid sans se rendre compte (?) de ce qu’il venait de dire.

-      Comment tu veux qu’on annonce ça aux adultes ? Intervint Evan. Déjà qu’ils ne nous croient pas quand on leur dit que le gang de la rue d’en face est responsable pour toutes les bêtises qui sont faites dans le quartier alors si on va leur dire qu’on a fait de la magie et que des elfes sont venus nous voir on va les faire rire. Ou alors on va avoir droit à un psy pour enfant comme c’est arrivé à ma cousine Lisa parce qu’elle avait des trucs qui lui parlaient la nuit de sous son lit.

-      Elle était folle ta cousine ?

-      Non ! J’ai aussi entendu ces trucs parler.

-      T’es fou toi aussi !

-      Hé ! On n’est pas là pour discuter de ça. C’est sérieux.

-      Bon alors ? On le dit aux adultes ou pas ?

-      Moi je veux bien essayer mais ça va être compliqué. Mon père lit plein de livres sur les elfes et tout ça mais je ne sais pas s’il va me croire quand même.

-      Et si on demandait à Pendufiil de se présenter lui-même à nos parents pour leur expliquer ? Ils seront obligés de le croire s’il le voit pour de vrai.

-      Faudrait déjà que Pendufiil veuille bien nous parler à nous. Tu sais ou il est toi ?

-      Non

-      Quelqu’un a vu un elfe aujourd’hui ou hier ?

-      Non ! Répondirent-ils tous en cœur.

-      Alors on va d’abords chercher un elfe et lui expliquer.

-      Je sais comment faire !

-      Oui Emma. Comment faire ?

-      Mon chat déteste les elfes. Il suffit que je me promène avec lui dans les jardins pour savoir s’il y a un elfe dans le coin. Il se met à cracher quand il les sent.

-      T’es sûre qu’il ne crache pas parce que tu lui as mis des gants ou des bigoudis ?

Les jumelles prirent un air hautain de grandes dames outrées (c’était sûrement leurs rapports privilégiés avec la grande Bretagne qui leur donnait cette capacité !) Puis se levèrent dignement en annonçant que, elles, elles allaient les trouver les elfes et qu’après personne n’aurait plus le droit de leur faire de remarques sur la façon dont elles traitaient leur chat.

Le chat ne leur échappa que quinze minutes. Il avait pourtant trouvé une bonne cachette cette fois. Il était dans le garage sur le tas de sacs en papier qui servent à jeter le gazon coupé. Il s’était donné du mal pour la trouver celle-ci. Encore raté !

Les jumelles commencèrent donc leur inspection des jardins, suivies de près par tout le reste de la bande. Le chat se plaignait régulièrement mais rien de très violent. Il avait appris à prendre son mal en patience et se contenter de somnoler en attendant que ça passe. Pour l’honneur, il protestait quand même un peu de temps en temps, parfaitement conscient de l’inutilité de ce comportement.

C’est dans le jardin de Khalid qu’il commença à s’agiter vraiment. En approchant de la cabane du fond Emma dû le lâcher pour éviter de se faire griffer.

Le chat avait raison. Trois elfes semblaient tenir conseil derrière la cabane. Enfin, deux discutaient et le troisième somnolait.

-      Bienvenue les enfants ! Leur dit Pendufiil lorsque Khalid franchit en premier la barrière de troènes.

Les enfants constatèrent que les elfes devaient passer beaucoup de temps ici car les lieux avaient beaucoup changé en quelques jours. Les plantes qui protégeaient l’endroit des regards indiscrets étaient beaucoup plus touffues. Sur le sol un beau gazon bien épais avait poussé, formant une moquette épaisse et agréable pour ceux qui s’y assoient.

-      Vous avez quelque chose à nous dire.

-      Oui.

-      On est inquiets.

-      Pourquoi ?

-      La bataille contre les orcs a l’air dangereuse.

-      La bataille contre les orcs n’a pas commencé petit ! Intervint le troisième elfe qu’ils ne connaissaient pas.

-      Ayanduul a raison. Ils sont comme nous en ce moment. Ils cherchent à reconnaître les lieux pour établir des camps avancés. Ils ne vont pas passer à l’attaque avant plusieurs semaines.

-      C’est combien plusieurs semaines ?

-      Quatre ou cinq je pense. Ils sont toujours très longs. Nous les elfes pouvons être prêts en moins d’une nuit mais eux n’ont pas notre organisation et notre intelligence.

-      Et c’est quoi cette bataille qui n’a pas encore commencé ?

-      Des centaines d’elfes et des milliers d’orcs qui s’affrontent. Comme dans toutes les batailles.

-      Et vous allez gagner ?

-      Oui, probablement ! Nous sommes très nettement supérieurs à ces pauvres créatures !

-      Alors pourquoi il y a encore des orcs si à chaque fois vous les massacrez ?

-      Dans notre monde le bien et le mal sont partout mais pas dans les mêmes proportions et pas de la même façon. Dans le sol, le bien est surtout présent en surface. Il permet aux plantes de pousser. Plus profondément le mal est en plus grande quantité. Au fond la terre est très chaude et elle engendre en permanence des hordes de créatures toutes plus ignobles les unes que les autres. Les orcs sont les plus évolués d’entre elles. Nous les elfes venons de l’air où le bien et le beau sont majoritaires. Quand l’homme vivait dans notre monde il était toujours en équilibre entre les deux, tantôt bon, tantôt mauvais. C’est parce qu’il respirait le même air que nous mais buvait de l’eau qu’il tirait de puits profonds que les terres du mal avaient souillés. Nous, elfes, ne buvons que l’eau des rivières et l’eau de pluie pour éviter d’être trop souvent en contact avec le mal. Tu vois, il y aura des orcs tant qu’il y aura de la terre et des elfes tant qu’il y aura de l’air. Mais l’air sera toujours au-dessus de la terre.

Les enfants ne comprenaient pas grand chose à cette nouvelle grande rasade de philosophie. Ils avaient juste compris que début septembre, pendant la rentrée des classes, il allait y avoir une grande bataille. Ce sera difficile de passer inaperçu à ce moment là. Même pour les elfes.

-      Ce qui nous inquiète c’est qu’on voudrait prévenir les adultes avant la bataille. Sinon ça va mal se passer ce jour là. Ou avant si l’un d’eux vous découvre avant qu’on leur explique.

Les trois elfes sourirent. Ils rirent presque même.

-      Aucun risque ! Les adultes sont incapables de nous voir. Pour l’instant en tout cas. Si nous arrivons à vaincre les orcs et à les éliminer définitivement de cette région peut-être pourrons nous revenir.

-      Alors. Si personne peut vous voir pourquoi vous vous cachez et pourquoi vous vous battez que la nuit.

-      Ils ne peuvent pas nous voir mais comme nous sommes quand même là ils peuvent voir les effets de notre présence. Si je casse un vase en me promenant chez toi ta mère verra bien le vase cassé. C’est pour ça que nous nous déplaçons avec autant de précautions. Si je traversais une terrasse en plein jour devant des adultes ils verraient probablement les traces de mes pas sur le sol.

-      Quand nous passons au milieu des feuillages ils croient voir des courants d’air mais du gazon écrasé par des courants d’air c’est plus difficile à croire.

-      Les orcs eux peuvent se déplacer sous le sol car ils sont en terre. C’est plus facile pour eux. Leur camp de base est à coté du saule que vous voyez depuis l’entrée de la rue.

-      Celui que les jardiniers de la ville sont venus voir hier ?

-      Oui. La présence des orcs près de ses racines a rendu l’arbre malade.

-      Alors qu’est ce que vous allez faire maintenant.

-      Attendre que tous les enfants de votre gang soient rentrés et vous apprendre tout ce que vous aurez besoin de savoir pour le jour de la bataille !

27 avril 2010

Chat échaudé (partie 2 sur 4)

III

Deux semaines s’étaient écoulées et août commençait sa lente progression vers la rentrée scolaire. Evan s’était bien intégré au gang des Elfes. Lui aussi occupait maintenant le plus clair de son temps libre à la surveillance du territoire.

Papa et maman avaient même un peu relâché la pression sur les devoirs de vacances. Ils semblaient contents de voir que leur fils s’était enfin fait des copains, même s’ils ne comprenaient pas bien ce que les enfants pouvaient faire toute la journée cachés dans des fourrées ou derrière des buissons. Une voisine leur avait confié avec un sourire entendu qu’ils surveillaient la rue ou le territoire mais qu’elle ne comprenait pas bien pourquoi et que, de toute façon tout ça ce n’était que des histoires de gosses, enfin, vous voyez ce que je veux dire.

Les autres parents de la rue n’y trouvaient rien à redire puisque cette surveillance occupait les enfants à temps plein et leur interdisait de quitter la rue, de peur de se retrouver en territoire ennemi. Et, par la même occasion, cela  évitait de voir quelque importun venir, en plein jour, visiter un pavillon seul, puni et abandonné pour les vacances.

Ils étaient maintenant cinq à surveiller le territoire. Cathy et Emma, deux sœurs jumelles qui habitaient au fond de la boucle avaient rejoint le groupe à leur retour de vacances. Elles avaient passé trois semaines en Angleterre chez des cousins et maintenant elles parlaient anglais, ce qui impressionnait beaucoup les autres enfants. Et puis, elles avaient neuf ans. Toutes les deux ! Avait précisé Khalid qui semblait très impressionné par cette coïncidence troublante !

Khalid et Mathys ne partaient pas en vacances cette année, comme Evan. Pour Mathys la raison était une dispute au dernier moment entre son père et sa grand-mère chez qui il devait passer l’été et pour Khalid son refus permanent d’aller passer son été dans un pays dont il ne parlait pas la langue, ne comprenait pas les coutumes, n’aimait pas la cuisine et le tout dans une famille qui semblait le prendre pour un crétin. Son père lui avait laissé le choix cette année, pour la première fois depuis sa naissance. Et puis ça arrangeait bien ses parents parce que les billets d’avion ne sont pas gratuits. Si en plus c’était pour récupérer un gamin déprimé qu’il allait falloir couvrir de cadeaux à Noël pour lui faire oublier le drame de l’été au pays ce n’était vraiment pas la peine.

C’est le trois août que l’évènement le plus important de leur vie arriva aux cinq enfants (plus le chat des filles qui passait presque toute la journée dans les bras de l’une ou de l’autre et qui semblait apprécier cela très modérément, bien que les filles juraient le contraire et lui expliquaient régulièrement que ce n’est pas bien de grogner parce qu’un bébé ça ne râle pas quand c’est dans les bras de sa maman. Elles ne savaient pas non plus ce qu’était réellement le comportement d’un bébé !).

Evan avait trouvé sur Internet un site qui décrivait comment appeler une créature magique dans notre monde. Il y avait une incantation à psalmodier un certain nombre de fois et étant assis autour d’un pentacle, et c’était tout. Evan avait regardé dans le dictionnaire ce que voulait dire psalmodier et en avait déduit qu’ils allaient devoir lire l’incantation à haute voix tous ensemble. Ensuite il avait vérifié le sens de pentacle, qui contrairement à ce qu’il croyait n’était pas un médaillon mais simplement le dessin d’une étoile.

Il n’avait pas eu besoin de beaucoup d’efforts pour convaincre les autres de tenter l’expérience et d’appeler un Elfe à la rescousse. Le gang de la rue des Orcs comptait maintenant huit membres et ils en attendaient encore davantage. Leur surnombre les rendait dangereux. Aucun doute qu’un elfe dans leurs rangs leur permettrait de tenir tête à ces crétins d’Orcs d’en face.

Il fut décidé d’effectuer la cérémonie au fond du jardin de Khalid. D’abords parce que Khalid avait le plus grand jardin de la rue et, ensuite, parce que le père de Khalid s’était construit une belle cabane au fond du jardin où il pouvait aller bricoler le soir et le week-end sans gêner sa famille. Il pouvait aussi y boire tranquillement une bière en regardant un match sur la petite télévision installée sur une étagère haute. Mais ceci était la version officieuse. Comme le jardin était triangulaire il restait encore quelques mètres carrés de terrain derrière la cabane du père. Un petit triangle de terre coincé entre une façade de bois et deux murs de plantes, avec tout juste quelques brins d’herbe au sol.

Les enfants y accédaient moyennant quelques égratignures mais ils étaient là dans leur cachette secrète et personne n’était jamais venu les y déranger.

L’étoile, ou pentacle, à cinq branches fut rapidement dessinée au sol par Evan, sous l’œil critique des filles qui devaient penser que les garçons n’étaient sont pas faits pour dessiner.

Chacun pris place devant une des pointes de l’étoile, comme expliqué sur le site web. Le chat fut relâché par Emma car les participants devaient se tenir les mains, comme le veut la tradition. L’animal en profita pour aller visiter d’autres jardins et se trouver un endroit où elles ne pourraient pas venir le dénicher. Le canapé du salon et le dessous du lit des parents étaient donc à proscrire. Elles étaient deux et avaient une grande capacité à s’organiser pour retrouver leur « bébé ».

L’incantation fut dite. Tout le groupe la connaissait par cœur. Ils ne parlaient pas trop fort pour ne pas attirer l'attention. Ils étaient bien cachés à la vue mais l'ouie traverse plus facilement les haies de troènes.

L’incantation était longue –facilement trois lignes – et ils durent bien la répéter une dizaine de fois avant que l’effet désiré ne se produise.

Une sorte de tourbillon qui déformait la lumière au cœur du pentacle pris forme.

Un flash et un bruit étouffé comme lorsqu’on ouvre un lit brusquement.

Un elfe en armure étincelante apparu au milieu du pentacle.

Il était beaucoup plus grand que les enfants mais sûrement pas plus lourd que Khalid parce qu’il était super mince. Un vrai phantasme pour tous les journaux de mode féminine.

Un vrai elfe, donc, les cheveux longs et blonds, les yeux bleus, les oreilles pointues. Un arc gigantesque était attaché dans son dos et une épée magnifique pendait le long de sa jambe gauche.

Les jumelles avaient un grave désaccord avec la gravité universelle car leurs mâchoires pendaient comme irrésistiblement attirées par le sol. Khalid venait de s’évanouir. Evan et Mathys se regardaient bêtement. Aucun d’eux n’avait vraiment cru que ça arriverait pour de vrai. Mais ils avaient envie d’y croire et surtout aucun ne se serait défilé devant les copains. Pourquoi pas rejoindre le gang des Orcs. Non mais !

-      Alors ? Qu’est ce que vous voulez ?

Silence.

-      C’est toi qui a voulu m’appeler non ? Parle !

L’elfe venait de s’adresser à Evan. Son premier réflexe fut de se lever. Le second de reculer d’un pas. Mathys fit la même chose mais en sens inverse, ce qui valut à son short une usure prématurée.

-      Je… Oui monsieur !

-      Ne m’appelle pas monsieur mon nom est Pendufiil fils de Pendaël. Mais mes hommes me nomment bras d’acier. Je sais, on dirait un nom de nain mais mes hommes sont plus doués pour tuer des Orcs que pour réfléchir. Alors, pourquoi voulais-tu me voir ?

-      Je… On a un problème avec le gang des Orcs et on voulait votre aide.

IV

L'elfe avait des habitudes de guerrier et d’elfe que les enfants reconnaissaient aisément.

Evan et Mathys l’avaient accompagné jusqu’à la limite de leur territoire pour lui montrer où se situait le territoire des orcs. Pendufiil se déplaçait dans un silence impressionnant. Les enfants auraient juré que les plantes l’évitaient et que ses pieds touchaient à peine le sol (ils lévitaient, eux aussi !).

Passer d’un jardin à l’autre sans faire de bruit et sans se faire remarquer par les quelques adultes de la rue était un exercice auquel se livraient régulièrement les enfants. Ils avaient créé ce qu’ils appelaient une ligne de guet qu’ils parcouraient plusieurs fois par jour pour aller vérifier l’intégrité de leur territoire.

L’elfe passa toute la journée avec les enfants à observer ce qui se passait de l’autre coté de la rue.

Les voitures et autres véhicules l’avaient intrigués au début mais il révéla aux enfants que même si c’était pour lui une grande première que de visiter le monde des humains certains de ces amis étaient déjà venus livrer bataille ici. Il savait donc qu’il existait de tels engins.

-      Lorsque le monde des humains et le monde des créatures se sont séparés s’était déjà à cause de tous ces engins que les humains affectionnaient à construire. Les humains veulent constamment améliorer leur présent et, en même temps ils sont toujours persuadés d’être arriver au summum de l’évolution dans tous les domaines. Nous, nous savons que la perfection est dans l’équilibre et non pas dans la croissance infinie. Notre monde n’a pas changé depuis des milliers d’années car nous avons atteint cet équilibre depuis fort longtemps.

Les enfants n’avaient rien compris à ce mini discours mais ils étaient certains d’avoir entendu là des choses très intelligentes qu’ils se promirent tous de retenir et de ressortir dans des situations utiles. Reste à savoir s’ils allaient arriver à le retenir et, encore moins probable, s’ils allaient savoir à quel moment il pouvait être opportun de placer un tel discours !

Le soir venu les parents commencèrent à appeler leurs enfants. Ils s’étaient, bien sûr, tous absentés à tour de rôle dans la journée, pour manger, pour aller voir un dessin animé hyper important, ou autre raison mais l’elfe avait toujours eut au moins un compagnon. Là, il allait se retrouver seul et les deux derniers à partir, c’est à dire Evan et Mathys se sentaient gênés de l’abandonner seul au fond d’un jardin, coincé entre une haie de sapins et un muret de crépi.

-      Tu vas rentrer chez toi maintenant ?

-      Non les enfants je dois surveiller les orcs.

-      Tu veux qu’on t’amène des trucs à manger ou à boire ?

-      J’ai ce qu’il me faut dans ma besace. Ma gourde et mon pain d’elfe me permettront de tenir plusieurs jours. Nous ne sommes pas aussi voraces que vous.

-      D’accords. Mais y a pas d’orcs en face. C’est juste la rue des Orcs et les enfants qui vivent là-bas ont créé le gang des orcs. On te l’a dit tout à l’heure on a besoin de toi parce qu’ils sont plus nombreux que nous.

-      Il y a deux orcs de l’autre coté de cette rue. Je sens leur odeur pestilentielle depuis le milieu de l’après midi. En me faisant venir ici vous avez ouvert une porte et, comme je vous l’ai déjà dit, notre monde est un monde d’équilibre. Alors, si je suis passé des orcs sont passés aussi.

Les enfants n’en revenaient pas. Des gros trucs verts et sales se baladaient donc de l’autre coté de la rue. Beurk !

-      Mais, s’ils sont deux tu devrais amener un autre elfe parce que sinon il n’y a pas d’équilibre.

-      Les orcs ne sont que des bêtes. Un elfe vaut bien plus que deux orcs. La preuve en est que s’ils s’étaient sentis assez forts pour cela ils auraient déjà attaqué. Ils ne bougeront pas pour l’instant. Ils savent que je veille et qu’ils ne sont pas de taille contre moi. Les orcs sont bêtes mais ils ne se suicident que si on leur en donne l’ordre. Allez en paix les enfants.

Les deux garçons rentrèrent chez eux, dînèrent, puis allèrent se coucher comme tous les soirs.

Evan avait un avantage incontestable. Sa chambre disposait d’une fenêtre qui donnait presque sur la rue. Un peu de gymnastique lui permettait même de voir l’elfe. Enfin, pas vraiment l’elfe, mais en tout cas l’endroit où celui-ci était lorsqu’il l’avait laissé avant de rentrer.

Il ne s’étonnait pas de ne pas le voir parce que les elfes sont très forts pour se cacher dans les plantes. Ils ont des manteaux spéciaux qui les rendent invisibles dans la nature. Et puis, il faisait maintenant presque nuit.

Pour ne pas se faire repérer par ses parents Evan avait éteint la lumière de sa chambre. Il avait attendu que papa et maman aient fait leur tour d’inspection de sa chambre qu’ils dissimulent en faisant croire qu’ils viennent juste lui faire un bisou avant de dormir.

Il était maintenant tranquille jusqu’au lendemain matin.

De sa fenêtre il voyait aussi le premier jardin du territoire des orcs et, au milieu des ombres qui se formaient maintenant que l’éclairage municipal de la rue était allumé et qui se déformaient à chaque passage d’une voiture aux phares en pleine action, il vit quelque chose qui lui fit très peur.

Il était certain d’avoir vu, très furtivement, un orc.

Il était même certain que celui-ci le regardait.

Il se précipita dans son lit, tira sur les draps pour les remonter au-dessus de sa tête et ferma les yeux en serrant très fort les paupières.

Quinze minutes plus tard il dormait et sa mère qui était revenue, comme tous les soirs vérifier s’il dormait bien lui remit les draps comme il faut. La maison ayant un système de climatisation par pompe à chaleur très écologique alors la température dans les chambres (chambre) était suffisamment basse pour supporter un drap pour dormir.

Un dernier bisou sur la tête, comme tous les soirs et Evan fut seul dans sa chambre.

Les rêves de cette nuit furent particulièrement riches en évènements. De grandes batailles comme dans les films qu’il avait eu le droit de regarder deux mois plus tôt après que papa et maman aient enlevé tous les morceaux « pas pour les enfants ».

Vers deux heures du matin Evan se réveilla en sursaut. Il était certain d’avoir entendu un bruit suspect dehors. C’était impossible car l’insonorisation de la maison était telle que seul un coup de canon ou le vacarme d’un avion à réaction pouvaient l’atteindre.

Mais ce sont là des arguments logiques qui n’intéressent pas un enfant de cet âge.

Il se précipita vers sa fenêtre pour vérifier ce qui se passait dans la rue.

L’elfe était en train d’affronter les deux orcs au milieu de la rue.

Ils échangeaient de grands coups d’épée et de massue.

Evan ne savait pas depuis combien de temps la bataille durait mais il était rassuré car l’elfe semblait s’amuser avec les orcs comme un chat avec des souris – Evan ne savait pas vraiment ce que signifiait cette expression mais sa grand-mère l’utilisait tout le temps alors…

Au bout de cinq minutes de combat les orcs commençaient à avoir l’air fatigués. Il faut dire qu’ils se battaient avec de grosses massues en métal et que tous leurs coups finissaient dans le vide. Ca devait finir par fatiguer un peu.

L’elfe s’amusait à les piquer sur tous les endroits de leur corps qui n’avait pas de protection. Les armures des orcs correspondaient bien à ceux qui les portaient : C’était n’importe quoi. Des morceaux de ferraille avec des clous, du cuir  empilé en plusieurs couches, ce qui semblait être des morceaux d’os et d’autres choses qu’Evan était bien incapable de reconnaître.

A force de les piquer et de leur infliger de multiples petites blessures l’elfe avait fait reculer les deux Orcs jusqu’à l’entrée de la rue des orcs. Là il s’arrêta et pendant une seconde les trois créatures demeurèrent strictement immobiles.

Les orcs tournèrent talon et s’enfuirent en courant.

L’elfe les regarda partir puis rangeât son épée dans son fourreau après l’avoir essuyée avec un petit chiffon qui pendait toujours accroché à son genou droit.

Il revint alors vers son poste de garde et, juste avant de disparaître au milieu de la haie, fit un petit signe de tête à Evan.

Le garçon retourna se coucher après avoir vérifié qu’il ne pouvait plus voir les orcs dans le jardin d’en face.

Cette fois son sommeil l’emmena jusqu’au matin.

27 avril 2010

Chat échaudé (partie 1 sur 4)

I

Evan ouvrait un œil sans vraiment espérer découvrir le paradis. Sûrement encore une de ces aires d'autoroute toutes semblables. Bien sur, la première avait été la bienvenue. Un parking avec une reproduction de centre commercial sur cent cinquante mètres carrés en plein milieu. Des revues hors d'age y côtoyaient des sandwichs aux mélanges improbables. Mais trois aires plus loin la passion s'était éteinte. Toujours la même chose.

Du haut de ses neuf ans Evan n'avait jamais accompli de vrai grand voyage en voiture. La plus longue transhumance dont il avait souvenir plafonnait à moins de deux heures. Le voyage en cours, qui le menait avec toute sa famille, c'est à dire son père et sa mère, durait depuis plus de huit heures. Il faut avouer que partir d'un petit village de la frontière franco espagnole pour rallier une ville de la banlieue parisienne au nom encore imprononçable pour le gamin n'était pas une mince affaire. Ajoutez à cela le calvaire que représente l'obligation de devoir suivre un camion transportant tous vos meubles.

Elle était bizarre cette aire d'autoroute. Normal puisque ce n'en était pas une.

-      On est arrivé jeune homme !

C'était maman qui parlait, et pour une fois c'était pour donner une bonne nouvelle.

Evan ouvrit les yeux en grand et se colla aussitôt le visage à la vitre. Papa et maman étant des psychopathes de la sécurité et Evan ne pouvait pas descendre sa vitre, même à l'arrêt. Papa avait fait mettre un dispositif de sécurité enfant spécialement pour ça.

Son nouveau « chez-nous » comme avait répété papa pendant les deux derniers mois. C'était sans doute la première fois qu'un père avait été plus pressé que son fils de voir le dernier jour de classe arriver.

Papa avait trouvé un nouveau travail qui allait bien avec les études qu'il avait fait. Evan ne comprenait pas trop bien ce que faisait réellement papa. Il n'avait même qu'une idée approximative de ce qu'était le travail. Le travail de papa en particulier et le travail en général.

Alors toute la famille avait attendu la fin de l'année scolaire et maintenant que le mois de juillet était bien avancé ils débarquaient tous avec toutes leurs affaires dans une nouvelle maison, dans un nouveau quartier, dans une nouvelle ville.

Papa avait montré à Evan à quoi ressemblait la maison. Il avait des photos qu'il avait prises quand il était aller visiter les maisons et qu'il avait choisi celle-ci. Plus tard, il avait trouvé encore plus de photos du quartier et de la ville sur Internet. Ça ressemblait beaucoup à un décor de film. Ici les maisons les plus anciennes n'étaient encore que sur plan lorsque Evan avait poussé son premier cri à la maternité.

Evan se sentait comme sur un autre monde. Un seul point positif : le nom de la rue où se trouvait la nouvelle maison. Rue des Elfes.


II

Evan se demandait bien ce qu’il allait pouvoir faire de sa journée. Il faisait beau et maman avait décidé de repeindre plusieurs pièces de la maison. Elle l’avait donc envoyé « jouer dans le jardin » sans même se soucier de savoir si lui avait envie d’y aller.

-      Il fait beau, profites-en ! Qu’elle avait dit.

Evan était d’accords avec papa : Il ne faut pas essayer de comprendre les femmes.

D’accords il y a du soleil mais Evan le soleil il connaissait déjà. Il venait d’une région où celui-ci était très présent. Plus qu’ici en tout cas.

Et puis le jardin était petit et c’était juste une pelouse trop propre entourée de quelques arbres prépubaires qu’il était interdit de toucher et impossible d’escalader. Super comme aire de jeux ! Si Evan avait connu le sens du mot déprimant (e) il l’aurait certainement utilisé.

La rue n’avait même pas l’air plus intéressante. Comme toutes les autres rues du quartier elle était en sens unique et ne menait nulle part vue que son entrée était juste à coté de sa sortie, comme une grande boucle. Résultat personne ne passait par là dans la journée. C’était encore plus vrai entre le 14 juillet et le 15 août. Et comme le calendrier de la cuisine indiquait 17 juillet…

Evan en était à cette constatation hautement philosophique quand il perçut un mouvement dans un groupe d’arbrisseaux dans un autre jardin.

Il était monté sur une niche abritant les compteurs et s’était accoudé sur la barrière qui entourait le jardin. Cette position haute et stratégique lui permit de percevoir qu’il ne s’agissait pas d’un chat ou d’un chien comme il l’avait cru au début.

Il perçut des murmures et des rires étouffés. Il y avait des gens dans ce fourré. A moins que ce ne soit des fantômes. Non ils ne sortiraient pas en plein jour. Ce serait plutôt des leprechaun ou des farfadets ou une autre créature du même genre.

Ami ou ennemi.

Ca bougeait de nouveau. Evan ne savait pas s’il devait rentrer prévenir Maman ou l’appeler depuis son poste. Il devait surveiller les créatures. Il vérifia rapidement la distance qui le séparait de la porte entrouverte de la maison et celle qui séparait ces créatures de lui. Il estima qu’il aurait le temps de rentrer avant qu’elles n’arrivent. Toutes ces créatures étaient souvent petites et pas très douées pour la course. Et, si ça se trouve, elles ne pouvaient pas traverser la rue en plein soleil.

Il laissa passer plusieurs minutes avant de décider d’agir. Après tout, si elles n’avaient pas attaqué c’est qu’elles ne pouvaient pas ou qu’elles avaient peur de lui. Il descendit alors de son promontoire et prit un petit caillou dans l’allée. Aussitôt remonté il envoya la terrifiante arme de destruction massive en direction du buisson. Comme il visait  bien il fit mouche du premier coup.

-      Aïe !

Un gamin de son age se releva au bout de dix secondes en se frottant la tête.

-      T’es con toi ! Tu m’as fait super mal !

-      Ha ha mais il est trop fort. T’as vu comme il t’a shooté à cette distance.

Un second gamin venait de sortir du buisson.

-      Pourquoi vous vous cachez ?

-      On se cache pas on surveille !

-      Vous surveillez quoi ?

-      Ben la rue. Not’ territoire quoi. Si tu veux tu peux faire partie de notre gang et surveiller avec nous le territoire.

-      Ouais, comment faut faire.

-      Ben tu viens ici et tu t’assoies avec nous.

-      Je n’ai pas le droit de sortir du jardin.

-      Alors attend on arrive.

Moins d’une minute plus tard les deux gamins sortirent par un portail situé cinq mètres plus loin que le buisson. Et quelques poignées de secondes plus tard ils étaient devant le portail du jardin d’Evan.

Les gosses semblaient avoir à peu près le même age qu’Evan. Celui qu’Evan avait touché, lors de son « attaque », était plus grand que lui alors que le second était plus petit, mais sans doute plus lourds car il semblait aussi large que haut. Evan se demanda s’il allait tenir le coup parce qu’il suait à grosses gouttes.

-      Moi c’est Mathys. Se présenta le plus grand.

-      Et moi Khalid.

-      OK. Moi c’est Evan.

-      On sait. Ton père a discuté avec le mien la semaine dernière. J’étais en train de surveiller le territoire…. et j’ai entendu toute leur conversation.

-      Si tu nous laisses entrer on va t’expliquer.

-      Allez y c’est ouvert.

Les trois gamins s’installèrent – aussi confortablement qu’ils purent – sur la pelouse à l’ombre chiche d’un arbre moins petit que les autres. Mathys commença à expliquer son importante mission. Khalid hochait régulièrement la tête d’un air grave et ajoutait même un « Ouais » de temps en temps pour donner encore plus de poids à son accord.

Il ressortait de ce rapport – qui dura presque une heure – que les enfants de cette rue combattaient depuis des temps immémoriaux les enfants de la rue des Orcs (immémoriaux parce que les enfants ne se souvenaient pas depuis quand, ni même pourquoi. Ils remplissaient donc, sans le savoir, les deux critères qui avaient toujours fait les bonnes haines claniques. En vérité ça ne devait pas faire plus de cinq ans puisque les premiers habitants de la rue avaient emménagé à cette époque). La rue des Orcs se situait juste en face et on aurait dit qu’elle avait été construite en miroir de la rue des Elfes ici présente.

Pour ces enfants élevés dans un univers d’héroïque fantasy, de consoles de jeux de quatrième génération et de jeux en ligne massivement multi-joueurs ces noms étaient familiers. Sans doute que le responsable de la voirie, qui avait décidé de nommer ces rues ainsi huit ans plus tôt lors de l’établissement des premiers plans, était un grand amateur de ces mêmes univers ou juste un fan de Tolkien. Mais ceci n’a que peu d’importance dans notre récit. Seul le résultat compte.

-      Donc, nous on est les gentils et en face ce sont les méchants et on va aller leur casser la gueule.

Evan venait de résumer la pensée profonde de tout cela. Il était tombé juste et les deux gamins acquiescèrent en silence.

-      Viendras-tu combattre à nos cotés ? Demanda solennellement Mathys, en répétant sans doute une formule lue ou entendue dans un film, un jeu ou – mais c’est moins probable – un livre.

-      OUAIS ! On va leur botter le cul ! Encore une formule entendue dans un film.

17 avril 2010

Une ampoule, une étoile (partie 2 sur 2)

En fait, c’était même pire que ça. Il ne se contentait pas de ne pas être étonné, il souriait même devant notre étonnement.

Quand nous eûmes fini notre exposé des faits il se releva du fauteuil où il s’était installé depuis presque vingt minutes et nous fixa avec une petite grimace au coin de la bouche.

- Vous êtes les premiers à comprendre aussi vite et à le dire aussi franchement.

- Comment ça ?

- Personne ne met le nez dans les comptes tant que l’argent arrive sans problème. Certains tiennent des boutiques depuis cinq ans sans s’être jamais rendu compte de rien.

- Ou alors ils ne veulent pas faire de vagues de peur des représailles.

- Possible. Mais il n’y a pas de représailles. Je vais juste vous expliquer ce qui se passe ici réellement. Ce sera ensuite à vous de décider si vous voulez continuer l’aventure ou pas.

- Oui. C’est ça ! Expliquez-nous ! Carole parla avec plus de véhémence qu’elle ne semblait en avoir prévue. Elle se rétracta presque aussitôt d’un air désolé.

Xavier lui répondit d’un simple sourire.

- Suivez-moi.

Nous le suivirent. Il nous emmena dans la partie entrepôt du magasin. Il allait droit vers l’armoire électrique. Il ouvrit l’armoire et nous dit.

- Vous n’avez pas beaucoup de connaissance en électricités ni l’un ni l’autre n’est-ce pas.

- Pas plus que ce qu’on peut apprendre à l’école ou en bricolant à la maison c’est vrai.

- C’est pour ça que vous n’avez pas remarqué ceci.

Il désigna la partie basse de l’armoire.

- Ce sont des fusibles comme les autres.

- Certes. Mais ils ne sont reliés à aucun dispositif électrique de votre magasin. Vous pouvez les enlever vous verrez que rien ne s’éteint, pas une ampoule.

- Alors à quoi servent-ils ? Demanda Carole qui avait repris du poil de la bête.

- Ils alimentent les installations souterraines au-dessus desquels votre magasin est construit. En fait, il y a plusieurs magasins de cette zone commerciale qui donnent sur ces installations. Selon la spécialité de chaque magasin ils nous servent à l’approvisionnement en matériel ou pour faire rentrer le personnel ou les « clients ». Le vôtre sert principalement à l’approvisionnement électrique. En réalité tous les luminaires du magasin sont équipés d'ampoules spéciales. A elles toutes elles consomment moins qu’une lampe de bureau traditionnelle.

Nous n’en revenions pas. Il nous annonçait comme ça que nous étions au-dessus d’une base souterraine. Difficile à croire.

- Et je suppose que nous risquons de voir surgir un quelconque James Bond d’un moment à l’autre parce que vous travaillez pour une organisation secrète qui veut détruire le monde ou quelque chose du genre.

- Pas du tout. Vos références cinématographiques ne sont pas les bonnes. Nous serions plutôt une sorte de men in black privés. Nous sommes une simple agence de voyage qui offre à ces clients des allers-retours pour d’autres planètes. Nous les faisons passer par des sortes de téléporteurs – pour reprendre une autre référence cinématographique – et ces appareillages demandent beaucoup d’énergie pour fonctionner. Un magasin comme celui-ci était la meilleure couverture que nous pouvions trouver.

- Vous feriez mieux de nous dire la vérité avant que nous n’allions déposer tout ce que nous avons découvert sur les bureaux de l’administration.

- Il ne vous ment pas, intervint Charles. Je suis moi-même une sorte de voyageur.

- Oui. Sauf que Charles a tendance à voyager avec des allers simples. Voir même sans billet. Il est coincé sur notre planète depuis une dizaine d’année et travaille ici pour payer son retour chez lui. Et une fois là-bas il n’en bougera plus. N’est-ce pas Charles ?

- Ne vous inquiétez pas. Le goût du voyage m’est passé. Tout ce temps sur ce monde arriéré m’a dégoûté à tout jamais des aventures. Et puis j’ai passé l’âge de faire le mariole d’un bout à l’autre de la galaxie.

- Vous pouvez dire ce que vous voulez nous ne vous croyons pas ! Insistais-je, toujours incrédule.

- Alors il est plus simple de vous montrer nos installations.

- Faites les passer par le magasin de vêtement. Le monte charge est plein et j’ai encore beaucoup de matériel à descendre.

- Quel monte charge ? Demandais-je.

- Vous devriez refaire le métrage de votre magasin avec le plan vous vous rendriez compte qu’il existe une sorte de pièce secrète la bas. Ce n’est pas un vrai mur. Ce n’est qu’une sorte d’hologramme. Sauf que celui-ci est lié à un champ de force qui lui donne la résistance d’un vrai mur quand le champ de force est branché. Si je déconnecte le champ de force je peux passer à travers le mur puisque ce n’est plus qu’une image.

Joignant le geste à la parole Charles s’était approché du mur dont il parlait. Il avait appuyé sur plusieurs touches de son ordinateur portable puis était passé à travers le mur, continuant à nous parler de derrière celui-ci. Enfin il avait déconnecté l’image du mur et nous vîmes apparaître une petite pièce pleine de cartons et de boites.

- Je vous présente le monte charge et, comme vous pouvez le constater, il n’est pas équipé du dernier confort.

Il appuya sur un autre bouton de son ordinateur portable et le sol sur lequel il était commença à descendre, lentement et sans bruit.

- Je vous retrouve en bas.

Nous regardions Charles s’enfoncer dans le sol quand le mur qui avait disparut quelques minutes plus tôt refit son apparition. Je m’en approchais. J’ai tenté de passer la main à travers mais sans succès. Derrière moi, la voix de Xavier me dit :

- Pour des raisons de sécurité le champ de force et l’hologramme se réactivent dès que le monte charge fonctionne. Ca évite que quelqu’un tombe dans le trou. Il y’a plus de dix mètres entre le plancher ici et celui que va atteindre Charles avec la marchandise dans quelques minutes. Allons donc faire un tour chez vos voisins du magasin de braderie de vêtements.

Nous traversâmes les deux ruelles et le terre plein qui séparaient nos deux magasins. Nous pénétrâmes dans la boutique. Les vendeuses nous regardèrent passer en nous souriant d’un air entendu. Elles semblaient savoir ce que nous venions faire au milieu de leurs milliers de vêtement entassés ou serrés sur des cintres en fil de fer.

Nous allâmes directement vers le fond. Dans les cabines d’essayage. Elles étaient bien isolées et les portes des cabines descendaient jusqu’au sol et montaient haut. Je n’avais jamais fait attention à ce détail. Dans les magasins de ce genre les cabines sont plutôt protégées par des rideaux ou des portes qui commencent à trente centimètres du sol pour que les vendeuses aient toujours la possibilité de surveiller ce qui se passait à l’intérieur mais pas ici.

Une fois tous les trois entrés dans l’espace clos de la plus grande cabine Xavier posa sa main sur l’un des miroirs. Nous ressentîmes une sensation de chute pendant deux secondes puis Xavier ouvrit la porte et nous débouchâmes sur une sorte de hall de gare miniature.

La visite dura tout de même deux heures. On nous présenta tout, y compris les plaquettes destinées aux touristes. On y décrivait les différents mondes qu’ils allaient pouvoir visiter. Nous eûmes même droit à la plaquette qui présentait la Terre aux autres mondes.

Pour résumer nous étions un monde encore très sauvage mais digne d’intérêt pour des historiens de l’âme ou de rudes aventuriers. Nous n’avons pas bien compris ce qu’étaient des historiens de l’âme mais nous évitâmes de poser la question.

Carole était, tout comme moi, complètement abasourdie. Je crois même qu’elle a frôlé l’évanouissement plusieurs fois. Mais, j’avoue que je n’en étais pas loin non plus presque aussi souvent. Bien sur, il n’y avait ici que des créatures aux formes humaines. On nous a expliqué comment ils faisaient mais nous n’avons pas compris non plus.

L’important est qu’à la fin de la visite nous remontâmes par notre monte charge et que c’est durant la lente remontée que Xavier nous demanda.

- Alors qu’est ce que vous pensez de tout ça. Voulez-vous continuer à nous servir de couverture. Si vous voulez nous pouvons augmenter vos revenus personnels de trente pour cent. Mais pas plus sinon vous risqueriez d’attirer l’attention des services fiscaux. Par contre si vous voulez quitter l’aventure nous pouvons vous fournir un autre poste plus serein et même de nouveaux souvenirs pour vous éviter d’avoir à conserver ce lourd secret.

- Et pour nous empêcher de le dévoiler. Je crois que nous devons y réfléchir.

- Qu’en ont pensé les précédents propriétaires de la boutique ? Demanda Carole.

 J’avoue que, pour ma part, je ne m’étais même pas inquiété de savoir ce qu’étaient devenus nos prédécesseurs.

- Ils ont finit par prendre l’un des voyages. C’est Charles qui les a convaincus sans le faire exprès, à force de leur raconter tout ce qu’il a vu dans l’univers.

- Et ils comptent revenir un jour ?

- Peut-être ! Ils ont voulut faire comme Charles et prendre un aller simple sans voyage organisé. Nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. Ils ont arrêté de donner des nouvelles depuis leur arrivée sur Xandar.

- C’est celle que vos brochures appèlent la planète des plaisirs ?

- Oui. Bien que personnellement je trouve ce nom un peu surfait. Ce serait plutôt une sorte de Las Vegas cosmique. On peut y vivre des choses extraordinaires mais on peut aussi y croiser la poisse la plus épaisse de tout l’univers. Je la déconseille aux voyageurs amateurs. Bon je vais vous laisser réfléchir à tout ça. Je repasserai dans quelques jours pour connaître votre décision. D’accords ?

Nous acquiesçâmes et le regardâmes partir sans bouger. Il nous fallut plusieurs minutes avant de recouvrer tous nos sens.

Il va sans dire que cette agence de voyage cosmique qui vivait sous nos pieds fut notre seul sujet de conversation les jours suivants.

Lorsque Xavier revint nous lui annonçâmes que nous voulions continuer à travailler pour lui. Nos enfants étaient adolescents. Bien sur, ils savaient se faire cuire des pâtes mais pour le reste ils avaient encore besoin de nous et de l’argent que nous rapportions au foyer. Ce travail était facile et bien payé. De plus, personne ne viendrait nous chercher d’ennuis tant que nous gardions le silence.

Les mois, puis les années, passèrent et nous eûmes de nombreuses occasions de croiser des voyageurs. Nous vîmes même des célébrités terriennes partir pour des séjours sur des mondes lointains sans risque pour elles d’être poursuivies par des paparazzis ou autres crétins dotés d’appareils photos.

Xavier était devenu un ami jusqu’au jour où il nous annonça qu’il quittait la Terre pour aller travailler sur une autre planète. Il était terrien, bien sur, mais il était médecin de profession. Il avait été recruté car il avait soigné et sauvé une créature venue en vacances sur notre si sauvage planète et qui avait oublié de regarder à droite et à gauche avant de traverser la rue.

Il allait maintenant pouvoir exercer ses talents médicaux sur des mondes où la physiologie des habitants était proche de la notre.

Nous vînmes assister à son départ et lui souhaitâmes bonne chance. Nous étions conscients que nous ne le reverrions probablement jamais.

Quelques mois plus tard Charles put enfin s’acheter un aller simple pour son monde.

Tout comme Xavier il fut remplacé rapidement, mais cette fois c’est un terrien qui prit sa place.

Et le temps continuait à passer.

Les enfants quittèrent la maison pour aller vivre leur vie.

Un matin, pendant que nous déjeunions, Carole et moi nous sommes regardés et chacun de nous compris sans un mot ce que l’autre voulait lui dire.

Nous sommes partis en aller simple, comme beaucoup d’autres avant nous.

Le temps ne s’écoule pas à la même vitesse sur tous les mondes. Si vous voulez revenir une semaine après votre départ il faut être très précis dans le choix de votre destination. Nous n’avions pas l’intention de revenir alors nous avons choisi notre voyage les yeux fermés.

Aujourd’hui, nous en sommes à notre dixième planète. Nous avons croisé Charles il y’a deux années terrestres de cela.

Sur Terre plus de quatre vingt cinq années se sont écoulées. Pour nous, seulement une petite dizaine.

Nos enfants n’ont jamais su où nous étions partis. Nos petits-enfants, si nous en avons, doivent être grands-parents à leur tour. Malgré le recul nous ne savons toujours pas si nous avons fait le bon choix. Mais nous avons la conviction que jamais dans une vie nous ne pouvons savoir si nos choix ont été les bons.

En achetant notre boutique, il y a de cela à peu près un siècle, à ce salon des franchises nous voulions changer de vie mais nous ne pensions pas que nous finirions nos jours à des centaines d’années lumières de la Terre.

 

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rue crazy, maison des nouvelles
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